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On a équarri notre lit en radeau pour fuir la rage triste des nuits. Tu as taillé une voile franche dans l’enfance et j’ai noué les cordes rêches et trempées de nos rêves. Le bois grinçait, le froid suintait. On a formé des vœux de marins sans espoir. Tu as promis de ne jamais construire…
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Leibniz, compagnon de route de mon père, de dos, s’éloignant, sa voix me frôle en passant et manque à m’atteindre. De l’autre côté, Goethe, de face, s’approchant, un frère avec aux yeux le même bleu jaune troué de noir, le même émerveillement où perce et se répand la mélancolie. On s’est promenés une année entière…
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Il y a de bons et de mauvais lecteurs. L’on est sûrement tous l’un et l’autre, selon le livre, l’âge et le lieu. Et puis il y a des lecteurs voyants, comme poètes de leur lecture, dépliant le monde reposant entre les pages, le recomposant dans ses moindres recoins pour s’aventurer sur ses sentiers risqués, dans…
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Se fixer des horaires ou des jours, écrire tant de minutes ou tant de caractères, lire manuels et essais pour construire un personnage, développer une intrigue, affiner les dialogues ou les arguments, connaître les techniques des autres auteurs, ouvrir leurs lettres et leurs carnets, dévorer leur autobiographie… Ces pratiques répandues me laissent assez perplexe. Il…
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Le printemps ressemble à l’automne. Ciel blanc. Des jours que je ne vois mon ombre. Peut-être est-elle partie clandestine d’un nuage, partie vers sa patrie, le Sud, pour y vivre sa vie d’ombre, silencieuse et fantasque… Je l’imagine dansant sur un mur rose et coupée par son angle.
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Je me souviens avoir perdu mon doudou derrière un rideau. Fenêtre creusée profondément dans le mur d’une chambrette avec pour seul ameublement un berceau à lattes de bois châtain. Rideau unique et long, pâle et rêche, du lin, retenu par de larges anneaux. Peut-être ai-je oublié là autre chose dont le doudou est l’image. Ou…
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des rues minces comme des coulisses dans une ville aux façades de théâtre des rues canaux, préservant leur coeur sauvage d’une marge d’eau des rues où l’on est encore chez soi, un bol de café entre les mains au petit matin, les pieds sous le drap du soleil des rues au nom de sombre renoncement (ici Schopenhauer) où passent…
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Un livre magnifique. On pourrait le juger raciste, réactionnaire, sexiste sur certains points… Je ne demande pas un roman de penser pour moi, de me montrer la juste voie. Je veux juste qu’il révèle, extraie des profondeurs de la terre et des entrailles une vérité d’une « chaleur blanche », et si en passant il y a…
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Promenade du soir. Dans la forêt des serres mystérieuses dont émane un son sourd et soutenu. À l’intérieur des fleurs de carotte géantes sous un soleil de mars. Sur le pied s’effondre la motte moelleuse d’une taupe.
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Récit de rêve La nuit, dans une ville profondément creusée dans la terre en rues étroites et enchevêtrées avec le ciel à la surface, en rigoles, un homme conduit une voiture longue et basse où repose une femme âgée, les yeux fermées. Elle agonise. Il va plus vite et plus il va vite, plus la…