Un livre magnifique. On pourrait le juger raciste, réactionnaire, sexiste sur certains points… Je ne demande pas un roman de penser pour moi, de me montrer la juste voie. Je veux juste qu’il révèle, extraie des profondeurs de la terre et des entrailles une vérité d’une « chaleur blanche », et si en passant il y a des erreurs, des bévues, ou ce que j’estime tel, qu’importe.
Ce que le roman de Lawrence révèle, c’est le désir, son flux, son reflux, ses méandres, le plaisir dans ses chatoiements, ses replis et ses ondes. Sans leur donner le nom d’amour et tout ce qu’il traîne à sa suite de beau et de grand pour rassurer le narcissisme. C’est seulement du sexe, et le sexe fait tenir ensemble cette femme et cet homme, derniers restes d’une humanité humaine encerclée par les flammes du monde industriel.
Pour dire une banalité, notre époque est toute aussi sexualisée qu’asexuée : le sexe affiché et obligé aseptise et stérilise. Ici, c’est l’inverse, le secret d’une chair tendre et palpitante, l’intimité joueuse d’une chaleur partagée, l’éternel mystère de l’incarnation, de l’âme qui est corps, du corps qui est âme et la cruauté de l’amour qui oblige à vivre sans concession ce mystère, interdit de l’entamer, le sublimer ou s’en abstraire.
Aussi pénétrante que l’analyse de l’amour est l’analyse de la haine. Pour le mari, évidemment. Comment elle naît et se nourrit, de détails, de broutilles, un ton, un geste. Tout comme l’amour, en fait.
Si vous me lisez, c’est que vous croyez aux mots, et moi aussi, j’y crois, trop. C’est ce que j’ai découvert en regardant l’héroïne, Connie, demander à son amant : tu m’aimes, dis, tu m’aimes ? alors que tout le corps de l’homme le lui dit déjà, et sa question pressante le repousse plus que n’importe quel geste. Un je t’aime instaure une distance infranchissable, celle des consciences, parce que personne ne met la même chose sous je, te et aime. On pense que les mots nous aident à nous comprendre, mais c’est tout le contraire. Ils entament notre chair animale, nous donnent ce corps humain éminemment vulnérable, inachevé par le langage, qui s’arme d’outils, de machines, de trucs et d’astuces pour se débrouiller avec le monde perdu, se bricoler une vie avec le manque.
Connie a l’impression que tout ce qui n’est pas dit est rêvé et que tout ce qui est dit est réel, que le silence est retrait et abandon, alors que c’est la parole qui marque la séparation. Dès que les amants parlent, ils ne s’entendent plus.
« Cette sensualité sans frein et sans honte l’ébranla au plus profond d’elle-même, la dénuda totalement, et fit d’elle une autre femme. Ce n’était pas vraiment de l’amour. Ce n’était pas de la volupté. C’était un brûlant déchaînement de sensualité, qui lui réduisait l’âme en cendres. C’était le bûcher des pudeurs, des plus profondes et des plus anciennes pudeurs aux endroits les plus secrets. (…) Elle apprit tant de choses au cours de cette brève nuit d’été. Elle s’était imaginé qu’une femme en mourrait de honte. Et ce fut la honte qui mourut. La honte, c’est-à-dire la peur ; cette profonde honte organique, cette très ancienne peur physique tapie dans les racines de notre corps, et que seul peut évacuer le feu de la sensualité. »
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