Décembre
Gris comme nos villes, leurs pigeons, leurs souris. Minéralité aménagée à nos désirs et dont l’essence métallique forge toutes nos techniques, de l’anneau au robot, de l’aluminium des cuisines aux gravats des chantiers, de la tuyauterie des maisons à la carlingue des fusées. Même si toits et façades arborent d’autres couleurs, routes et trottoirs restent gris, et les ruines le redeviennent. Il participe aussi à notre solidité intérieure, apportant sa pierre à l’édifice de notre être : fer, zinc et magnésium indispensables à notre santé.
On le retrouve un peu partout, bien qu’il aime se faire discret et reste difficile à cerner. On ne sait s’il est dur ou doux, lourd ou léger. Fils du plomb et de la brume, il a la délicatesse de la perle et l’intransigeance de l’éclair. De toute évidence, il est triste, d’une tristesse devenue habitude, long souci endurci en indifférence par le supplice de la monotonie. Substance de la pluie et des larmes, surtout quand elles sont retenues, clarté des ciels bas et des regards voilés, il marche à l’écart, âne portant nos charges, et il va loin, trop loin, falaise où se jeter.
Au début et à la fin de l’hiver, il ne reste plus que lui, lorsque toutes les couleurs ont été délavées par les intempéries. Cette année, décembre a choisi d’être gris, plutôt que blanc comme neige ou noir comme nuit. Teinte prisée en notre époque d’austérité, assurance de bon goût et de conformité, qui couvre murs, meubles et manteaux. Comme s’il ne fallait pas montrer trop de joie, trop d’éclat en ces temps de demi-deuil. Manière de figurer le brouillard où nous nous enfonçons, l’avenir incertain dont nous ne pouvons qu’espérer éviter les récifs. Métonymie de notre modernité, de ses instruments qui nous émancipent et nous aliènent, de sa promesse trompeuse d’éternité. Rappel enfin de l’argent qui manque par son symbole.
Gris s’échappe de son portrait, trop impalpable pour tenir dans un cadre. Sous son effet, les limites s’estompent, surgissent des zones d’ombre. La flaque inverse nos repères, la photo floute nos souvenirs. Tout devient perméable, imprécis, méconnaissable. Gris apporte de la nuance. Sagesse de la vieillesse qui auréole les chefs. Plus possible de se prononcer sur quoi que ce soit. Il nous a réduits au silence.
Sachez cependant qu’il n’est pas aussi triste qu’il y paraît. Rose le sauve de son humeur sombre. Dans nos villes, comme sur les cimes, ils vivent leur romance à l’aube et au crépuscule. Leur bref, intense embrasement nous rappelle à l’essentiel : la splendeur de la vie dans sa simplicité.

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