
Pourquoi s’en prendre à l’art ? Pourquoi jeter de la soupe, de la purée ou des tartes sur les tableaux de Botticelli, Van Gogh ou Monet ? « Pour sauver la planète, pour que les gens sachent qu’elle est en danger », « pour dénoncer tel pétrolier, pour interdire les énergies fossiles. » C’est sûr, les gens ne se doutent de rien et pas de meilleure idée pour protéger l’environnement que de se coller la main à un cadre. Ce gâchis d’aliments, de temps et d’attention, ce coût pour les musées et leurs visiteurs vont certainement nous aider à mettre fin à l’empire pétrolier et accélérer la transition énergétique.
Apparemment, aujourd’hui, il n’y a plus aucune honte à être bête.
La haine de l’art prend une autre forme parmi le même type de militants, ou dans une variante de la même tendance politique au sein des universités : la révision de son histoire, la destruction non plus physique, mais psychique de son contenu, qui serait classiste, raciste, sexiste et cis-hétéro-patriarcal. On vient nous raconter que toute l’histoire de l’art, plus précisément de l’art occidental, se résume à la domination (voir sur ce sujet les articles éclairants de La Tribune de l’art) : de l’homme par l’homme, de l’animal par l’homme, des femmes par les hommes. Sans doute qu’avant de se coller les mains aux cadres, ces gens se sont collé les paupières.
La palme de la bêtise revient, comme toujours, aux théoriciens du genre. Ainsi, Paul B. Preciado, femme qui s’identifie homme, se réjouit dans son dernier livre des flammes qui consument Notre-Dame : « Cette cathédrale pourrait s’appeler capitalisme, patriarcat, reproduction nationale, ordre économique mondial… » Et comment pourrait-on appeler l’auteur, d’après vous ? Je vous laisse imaginer. Franchement, je ne sais pas où ils vont les trouver, je n’ai jamais rencontré des gens aussi bêtes dans la réalité. Il semble que le processus de sélection se soit inversé : on ne choisit plus les auteurs pour leur intelligence et leurs connaissances, mais au contraire pour leur idiotie et leur ignorance.
Ces mouvements qui semblent épars participent ensemble d’une véritable révolution culturelle. Mais celle-ci ne met pas en avant la nature, les cultures non européennes ou les femmes, comme l’avancent ses promoteurs. Cette révolution renverse les valeurs dans une tout autre mesure : elle remplace la beauté, la vertu et la connaissance par la laideur, la paresse et l’ignorance. Et elle a lieu depuis longtemps.
Leur idée que la culture européenne ne s’intéresse qu’à elle-même et qu’elle méprise, plus que toute autre culture, les femmes, les étrangers et la nature reste à prouver : bien que située, centrée sur elle-même (et quoi de plus naturel pour une culture ? pourquoi la culture européenne devrait-elle être plus universelle qu’une autre ?), elle se distingue par sa révérence envers les femmes (les droits des femmes n’ont pas été formalisés ici par hasard, regardons le christianisme, le rôle de Marie et des Saintes, la place des femmes dans la maison, l’artisanat, l’agriculture ou le commerce, des rives méridionales aux terres scandinaves), par sa curiosité envers les autres cultures (curiosité qui n’échappe pas aux appropriations et aux projections, comme la culture européenne est elle-même déformée par d’autres cultures qui l’intègrent à leur patrimoine) et enfin par son retour incessant à la nature (de la philosophie grecque à la Renaissance italienne, ce qui donne lieu à la science moderne, certaines cultures européennes étant plus sensibles que d’autres à la nature : l’anglo-saxonne ou l’allemande plus que la française, encore que le désintérêt français pour la nature soit récent et circonscrit : je dirais à partir de l’exode rural des années 1930 et de la vie citadine qui devient la norme, lisons les descriptions des romanciers du XIXe pour voir que personne n’ignorait le nom, le visage et les mœurs des arbres, des oiseaux et de tout animal des environs, élevé ou sauvage).
Mais revenons à notre sujet. Pourquoi cet acharnement est-il adressé en particulier à l’art ? Pas la peine de chercher bien loin. Ces militants veulent faire du mal, ils veulent faire souffrir la communauté à laquelle ils appartiennent et contre laquelle ils nourrissent une profonde rancœur, ils s’attaquent donc à l’un de ses points les plus sensibles : l’art, tout ce qu’il reste de sacré en commun dans nos sociétés séculières. Je parle de l’art véritable, qui ne méprise pas la beauté. Celle-ci est une manifestation du sacré : l’apparition ou la révélation d’un ordre transcendant, d’une harmonie immanente, la figuration d’un idéal, la transmission de l’immatériel entre les générations, le passage de main en main des clefs de l’existence, qui comptent plus que son sens. L’art qui présente cette beauté est le summum de la valeur. Ce pourquoi il atteint des prix hors de proportion, il est littéralement hors de prix, une valeur au-dessus de toutes les autres, aussi précieuse que fragile.
Eux ne croient plus à rien, rien n’a plus de valeur, si ce n’est eux-mêmes et leur survie. Mais pourquoi rester en vie ou protéger celle des autres espèces si on méprise l’essence de la vie, sa force créatrice ? Et comment croire qu’ils souhaitent préserver quoi que ce soit quand on ne les voit que détruire ?
Ils ne détruisent pas vraiment, me direz-vous. C’est vrai, ils risquent de détruire. C’est plus amusant. La torture tire son plaisir de sa sophistication. Certains jettent des aliments sur des vitres, d’autres se réjouissent d’une destruction accidentelle et, dans le cas des universitaires et commissaires, ils font mentir les œuvres en falsifiant des documents que, de toute façon, seuls les archivistes vont lire – et une histoire n’en vaut-elle pas une autre ? Toute histoire n’est-elle pas une fiction ? Imposée par le dominant, bien entendu, dont la voix porte plus fort, plus loin… Alors laissons place aux nouveaux dominants et leurs charmantes idéologies. La vérité n’était que la plus grande illusion de l’humanité – non, pardon, de l’Occident. Dans l’approche postmoderne de l’histoire de l’art, haine de l’art et haine de la science se rencontrent. Art et science, ce qui est spécifique à l’homme, à sa pensée, son activité, haine dans le fond de l’humanité, de tout ce qui la distingue.
Et ceci au nom de la justice, disent-ils, par moralité. Mais de quelle moralité s’agit-il ? Faire souffrir son adversaire est de bonne guerre, mais ayons la décence de ne pas faire passer l’agression pour un geste de bonté. De plus, la vertu qui se donne en spectacle et non en actes n’est qu’une manière de se donner le beau rôle sans rien changer à la réalité. Peut-être sont-ils arrivés à un tel point de déréalisation que, pour eux, le spectacle est un acte. Ils nous montrent que nihilisme et narcissisme font bon ménage : quand on ne croit plus en rien, on ne croit plus qu’en soi. Il suffirait qu’on arrête de les regarder pour qu’ils arrêtent d’agir.
La vertu est verticalité. Elle commence par l’humilité, par la prise de conscience de notre insuffisance pour pouvoir s’élever. Elle exige des efforts renouvelés, un apprentissage continu, bien éloigné de cette paresse dissimulée en révolte, du confort d’une pensée prêt-à-porter. Elle ne consiste pas à entacher le génie pour le ramener à son niveau, mais à l’admirer pour cultiver son génie propre – qu’il soit artistique ou autre. Alors, humains et animaux, hommes et femmes, société et environnement en tireraient bénéfice, mais le veulent-ils vraiment ?
On qualifie ces militants de radicaux, je n’y vois que des déracinés. Comme on ne peut vivre sans avenir, on ne peut vivre sans passé. Ils condamnent l’un pour l’autre et ils perdent les deux.
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