Juin
Violet, marge du regard, frange des ombres, fièvre légère qui monte avec la chaleur, rémanence de la lumière sous les paupières. Bref, à courte longueur d’onde, comprenant peu de gradations, mince comme toute frontière, dernière couleur visible avant l’invisible. Le regard y touche sa disparition. Il cligne et hallucine. On se frotte les yeux.
Violet surprend. Il n’est pas si courant dans notre environnement. La belle saison présente toutes ses variantes : glycine et lilas des jardins, campanule des murailles, lavande dans les champs, chardon au bord des sentiers, thym près du seuil, et j’en oublie, iris, héliotrope, ancolie, ou la pensée sauvage dont il tire son nom, la petite violette. Buissonnantes, ces fleurs expriment l’âpreté de la terre, sa senteur entêtante. Grimpantes, elles chantent les courants de l’air, l’entrelacement du vent. Violet peint la pensivité des plantes, leur air concentré, tout occupé à changer l’ombre en clarté et la clarté en couleur. Elles l’arborent si souvent, jusqu’au revers de leurs feuilles, qu’il est permis de supposer qu’il est du goût des insectes qui leur plaisent. Abeilles, bourdons, mouches, coccinelles et papillons doivent mieux le voir que nous.
Désuet, il renvoie à un autre temps ou un autre âge. Autrefois, le pouvoir s’habillait de son opulence, de la pourpre des seigneurs, évêques et empereurs à la mode mauve des reines de l’époque victorienne, dont la coquetterie de l’impératrice Eugénie. À la fois modeste et ostentatoire, il retient l’attention sans être m’as-tu-vu, mais sa magnificence annonce la décadence. Bien que la chimie des pigments l’ait rendu plus commun, il reste insolite et suspect. La photographie ne parvient pas à le saisir, il sied rarement au teint et d’une langue à l’autre, on se dispute sur sa nature.
Longtemps, il fut la couleur du demi-deuil, de mise chez les parents lointains, avec le temps remplaçant le noir pour les proches. Il témoigne de la fidélité aux disparus, de la fraternité des familles, de la sororité des femmes. Étendard des féministes depuis les suffragettes, il se décline dans toutes sortes d’accessoires, ruban dans les cheveux, cocarde au revers de la veste et plus récemment casquettes et baskets. La rémanence de la lumière devient permanence du souvenir. La limite entre visible et invisible figure celle entre les vivants et les morts. Violet se fait sombre, sérieux, autoritaire. Il impose, réclame, commande. Par quelque effet secret, dans presque toutes les cultures, il oblige au respect. Peut-être y entend-on le grondement du tonnerre, la menace de l’éclair.
Une pierre abrite son feu froid, ce rouge trempé de bleu, typique des tempêtes : l’améthyste. Cristallisation de son caractère inquiet et fantasque. Les Anciens racontaient qu’elle préservait de l’ivresse, par sa couleur de vin coupé d’eau. Violet est bien couleur raisin, mais aussi de figues, mûres et myrtilles. Dès juin, quand les jours commencent à raccourcir, il appelle l’automne, avec son odeur d’après la lessive ou l’averse, de couleurs délavées, mélangées. Sa fraîcheur nous marque de gerçures. On y pressent septembre. Il se répand dans l’orage, la mer déchaînée, les nuages déchirés. Noir pressé, essoré, suc de la nuit, jus des baies obscures. Aux confins des ténèbres, il est ce qui persiste de lumière et nous permet de les traverser.

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