Mai
Rose m’échappe. Fugace, évanescent, l’équilibre d’un instant, entre rouge et blanc.
Pour ne pas le manquer, il faut se lever à l’aube, sortir au crépuscule. Il a alors le ciel entier pour s’exprimer, et tout ce qu’il éclaire devient rose. Villes, vallées, reliefs, déserts, seule la mer lui résiste, mais le rose la pénètre sous forme de méduses et crustacés. La vie en rose n’est pas plus insouciante ou optimiste. Elle nous emplit de nostalgie.
Couleur comme une horloge et un calendrier qui égraine nos journées. Rose dit si bien notre cœur serré. Comme un poing qui n’oserait frapper, car qu’irait-il frapper ? Qui nous a dérobé ce que nous avons perdu, ou ce que nous n’avons jamais eu ? La vie, la mort, le temps ? Poing qui se referme sur le vide et ne rencontre que lui.
Rose est une percée douce mais bouleversante dans le continuum des couleurs, une volée d’épines qui nous égratigne, le linge qui épanche notre sang, la cicatrice qui se forme. Comme s’il nous privait de couleurs pour les rendre plus vives. Étrange saignée. Peut-être qu’il n’aurait pas eu de nom propre sans la fleur qui l’arbore. Il lui ressemble : féroce et fragile. C’est l’époque, au mois de mai, pour en découvrir toutes les essences et leurs nuances.
Les instances obscures qui décident des symboles ont déclaré un jour que le rose exprimait une virilité maîtrisée (rouge que tempère le blanc). Les siècles passant, la controverse a repris et elles ont changé d’avis. Il représenterait, disent-elles maintenant, une féminité affirmée (blanc qu’éveille le rouge). Il figure en tout cas leur étreinte (rose de la chair et des caresses). Les mains s’effleurent, le sang affleure.
Rose est un geste tout en délicatesse : l’éclosion. Il signale l’apparition – du jour, de la nuit, du désir, de la vie. Bien des animaux naissent tout roses des entrailles de leur mère et tous les boutons s’ouvrent sous la rosée. On le retrouve sur la robe ou les joues des anges, ces messagers des étapes de l’existence, faits à l’image des nuages.
Sa demi-teinte assure une température parfaite, une tiédeur propice à la tendresse. Son parfum, tout en profusion, donne le ton à la passion. Il lui arrive de tourner au bleu violet, quand il vieillit et va vers sa nuit. Plus tendre que jamais, inquiet, tiraillé de regrets, il nous étreint plus étroitement tout en disparaissant.
On peut s’irriter de ses manières, son caractère : pudeur, timidité, raffinement exagéré, manque de franchise et de simplicité. Rose se multiplie et se dissimule dans ses plis. Il s’accomplit dans la corolle ou le coquillage. Sa forme est la spirale, système qui protège sa vulnérabilité extrême. Fin, translucide, souple, opalescent, prêt à se rompre à tout instant, il porte le plus intime à l’air libre. Je voudrais l’épuiser, mais ce serait le dissiper. Rose est superficiel. Si je cherche la profondeur, je risque de le perdre.

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