Avril
Jaune jaillit. Il est notre somme et notre cime, le sommet du crâne et du ciel, la verticalité qui nous centralise, un noyau de joie intense, à la limite de la démence, une euphorie qui assourdit de sa stridence. Tout cœur est une corolle : un appétit de soleil, une poignée de pollen, prête à s’éparpiller.
En avril, jaune perce les nuages. Il commence à couvrir les champs et les chemins, fleur sauvage ou céréale sage. Rangées de maïs et de blé bruissent de labeur devenu abondance. Boutons d’or, pâquerettes et pissenlits appellent le vélo, la nappe et les amis. Il y en a pour tous les goûts, de la jonquille si gentille au genêt tourmenté. Jaune rassasie qui le regarde. Il luit dans le beurre, l’huile et l’œuf, gras liant les ingrédients qui confère élasticité à nos cellules. On y savoure une douceur acide, où le sucre crépite – rosaces de l’ananas, citron mêlé au miel.
Voici une couleur qui aime la chair. La lumière y garde sa chaleur. Elle ne s’échappe pas à notre approche, spectrale, blanche d’angoisse. Au contraire, elle s’avance, nous prend par la main et se met à courir soudain, nous obligeant à courir avec elle, mais vers quoi ? Le bonheur, toujours plus de bonheur, jusqu’à l’étourdissement. Il n’est pas étonnant que les smileys soient jaunes : jaune signifie sourire et il ne sourit jamais autant qu’avec son meilleur ami, le violet. Les impressionnistes le savaient qui nous réjouirent des parties de campagne et sorties en mer des deux complices.
Jaune n’a rien à cacher, spontané, impulsif, ébouriffé d’être si affairé. Il nous fatigue parce que rien ne le fatigue. Il veut toujours jouer. Si on refuse, il se montre agressif. Trop expansif, vite fusionnel, il est rarement la couleur préférée, pourtant on ne peut pas ne pas l’aimer. Il fourmille dans le sang, impatient de mouvement, il remue nos narines et finit en éternuement. On l’entend réverbéré dans les cui-cui. Il ne se calme qu’à midi, quand il n’y a plus que lui.
Les nombreux voisins qui le cernent – marron, orange, blanc et vert – ne risquent pas d’entamer sa personnalité. Jaune est si sûr de lui qu’il devient aride. Son énergie insatiable a tendance à tout dévorer. Sans frein, elle l’entoure d’un désert. Difficile de savoir s’il consacre ou corrode ce qu’il touche. Il est l’or et l’urine, la fièvre et l’auréole. Symbole d’une rare ambivalence, figurant à la fois la corruption et l’incorruptibilité. Il honore d’une couronne, ostracise d’une étoile. Sous sa joie, on a dissimulé trop de tragédies. Mais c’est nous qui l’avons manipulé. Lui n’a jamais menti.
Nous l’aimons malgré tout, comme tout ce qui brille, poudroie, pétille. Il apporte trop de gaîté pour s’obstiner à douter. Son entrain nous réveille, nous redresse. Il scelle un serment, une promesse : ne jamais éteindre notre flamme, poursuivre quoi qu’il en coûte la quête de la clarté.

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