Marron

Novembre

Marron brûle doigts engourdis et lèvres gercées. Le mot comme la chose nous vient des Alpes, ou des Pyrénées. Il en garde un goût de vie sauvage.

Matière première de notre monde qui modèle la terre, le bois ou le pelage. Craquèlement des croisements qui deviennent croissance. Couleur la plus commune, si commune qu’elle sert de camouflage : rien de mieux pour se fondre dans la foule ou le paysage. Il est la nature sans atours, nue et grelottante, telle qu’elle se montre en novembre ; et son obscurité appelle le toucher plus que le regard : la main qui flatte l’animal, serre la peluche, caresse le bois, creuse un sillon, égraine la semence.

Point où la couleur sombre dans la non-couleur, ou bien degré de mélange entre les couleurs où elles s’abolissent l’une l’autre. En effet, aucune trace de lui dans l’arc-en-ciel, mais c’est qu’il est trop modeste pour figurer au ciel. Il appartient au bas monde, à l’humble labeur, aux métiers sans éclat, à ceux qui n’avaient pas de quoi teindre leurs habits ; et il rappelle l’ancien temps, quand les teintures manquaient, le clair-obscur des torches ou des chandelles, les variétés de l’ombre autour du foyer, les visages auréolés dans les ténèbres et les pigments empruntés au sol pour peindre nos passions. Rien ne lui est plus contraire que l’électricité.

Marron nous enracine. Jamais artificiel, la tradition même. Taciturne, sincère, secrètement passionné. Méfiez-vous de sa tranquillité. Il y a un fauve dans ses antres. On l’entend hurler dans l’agonie des jours et des saisons, on sent ses traces dans la fumée d’après le désastre, il rode parmi les ruines, il a la gueule de l’abandon.

Il faut bien le traiter, si on ne veut finir dévoré. Heureux, il sera généreux. Riche comme l’ambre, il préserve le passé et peut le délivrer.

Peinture warlie de pêche miraculeuse.
Je ne sais comment transcrire la signature de l’auteur, ou de l’autrice, dans notre alphabet.

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Commentaires

7 réponses à « Marron »

  1. Avatar de almanito

    Ce marron pas snob pour un sou (il le devient lorsqu’on dit brun trop souvent ) est tout simplement somptueux sous ta plume.

    Aimé par 2 personnes

    1. Avatar de Joséphine Lanesem

      Merci ! Brun est tendre sous ses airs pincés, il m’évoque le petit ours et les brindilles.

      Aimé par 3 personnes

  2. Avatar de toutloperaoupresque655890715

    Le marron, à ne pas confondre avec sa cousine la châtaigne !
    Bonne journée, Joséphine.

    Aimé par 1 personne

  3. Avatar de Tom Calvus
    Tom Calvus

    « Rien ne lui est plus contraire que l’électricité. »

    Non seulement tu écris très beau, mais en plus tu as le sens de la punchline (certains pédants diraient de l’exergue) !

    Aimé par 1 personne

    1. Avatar de Joséphine Lanesem

      Ahah la pédanterie me menace moins que la préciosité 🙂

      J’avais justement modifié cette phrase après m’être aperçue de la répétition de structure (« rien de mieux… » dans le premier paragraphe, « rien ne lui est plus contraire… »), mais je vais la remettre si elle te plaît !

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      1. Avatar de Tom Calvus
        Tom Calvus

        Ah ben non, c’est très bien comme ça aussi ! (Mon seuil de sensibilité à la répétition est réglé bien plus haut, je dois dire. Plus tolérant, quoi. En tout cas, à la lecture, je n’avais rien senti de gênant, loin de là.)

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  4. Avatar de Résolutions d’écriture – Nervures et Entailles

    […] les couleurs, une pour chaque mois de l’année. Je l’ai déjà commencée : octobre orange, novembre marron, décembre gris, janvier blanc et j’attends de voir le mois qui vient pour décider de sa […]

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