Dans le langage, la beauté est intrinsèquement liée à la vérité, me disait Quyên. Remarque qui pourrait servir de boussole en écriture : il ne s’agit pas de faire joli, dans le souci de plaire, mais de nommer, pour enserrer le réel. J’en trouve l’illustration dans le recueil Du mouvement et de l’immobilité de Douve d’Yves Bonnefoy, consacré au deuil de l’aimée, ici appelée Douve. Paradoxalement, quand l’art perd ses artifices, qui lui semblent constitutifs, qu’il ne s’en passe pas, mais les surpasse, ce qui demande autant de sincérité que de maîtrise, il atteint à une telle présence qu’il devient une part intégrante de la nature, aussi indiscutable et nécessaire qu’elle. J’ai découvert ces vers à l’adolescence, j’y ai compris ce que signifiait la poésie. Ils me touchent au-delà ce que je pourrais en dire.
LA BEAUTE
Celle qui ruine l’être, la beauté,
Sera suppliciée, mise à la roue,
Déshonorée, dite coupable, faite sang
Et cri, et nuit, de toute joie dépossédée
— Ô déchirée sur toutes grilles d’avant l’aube,
Ô piétinée sur toute route et traversée,
Notre haut désespoir sera que tu vives,
Notre cœur que tu souffres, notre voix
De t’humilier parmi tes larmes, de te dire
La menteuse, la pourvoyeuse du ciel noir,
Notre désir pourtant étant ton corps infirme,
Notre pitié ce cœur menant à toute boue.
VRAI NOM
Je nommerai désert ce château que tu fus,
Nuit cette voix, absence ton visage,
Et quand tu tomberas dans la terre stérile
Je nommerai néant l’éclair qui t’a porté.
Mourir est un pays que tu aimais. Je viens
Mais éternellement par tes sombres chemins.
Je détruis ton désir, ta forme, ta mémoire,
Je suis ton ennemi qui n’aura de pitié.
Je te nommerai guerre et je prendrai
Sur toi les libertés de la guerre et j’aurai
Dans mes mains ton visage obscur et traversé,
Dans mon cœur ce pays qu’illumine l’orage.
VRAI CORPS
Close la bouche et lavé le visage,
Purifié le corps, enseveli
Ce destin éclairant dans la terre du verbe,
Et le mariage le plus bas s’est accompli.
Tue cette voix qui criait à ma face
Que nous étions hagards et séparés,
Murés ces yeux : et je tiens Douve morte
Dans l’âpreté de soi avec moi refermée.
Et si grand soit le froid qui monte de ton être,
Si brûlant soit le gel de notre intimité,
Douve, je parle en toi ; et je t’enserre
Dans l’acte de connaître et de nommer.
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