La testostérone, l’hormone qui nous divise

La testostérone est-elle responsable du comportement des hommes ? Le débat autour de cette hormone recoupe celui de la différence des sexes, de l’interaction entre nature et culture, de la dérive du féminisme vers la misandrie.

Si, comme l’avance Carole Hooven dans T: The Story of The Testosterone, The Hormone that Dominates and Divides Us, elle formate le cerveau, influence l’humeur, incite à certaines réactions, si elle conditionne, sans déterminer, le comportement des hommes, alors il faudra reconnaître la différence psychique et non seulement physique entre hommes et femmes.

Il semble que certaines féministes ne supportent pas cette différence, qu’elles l’interprètent, qu’elle soit physique ou psychique, comme une infériorité. Il est incontestable que les femmes sont plus faibles que les hommes : en général moins grandes, leur masse corporelle comprend plus de graisse et moins de muscles. De même, leur récupération est plus lente après l’effort et leur oxygénation moindre pendant celui-ci, leurs os se révèlent aussi plus fragiles. Ainsi, l’intersexualité est surreprésentée dans le sport d’élite féminin, parce qu’un taux de testostérone plus élevé favorise les athlètes en masculinisant leur corps – elles doivent cependant y ajouter leur talent et leur travail.

Toute cette force vient aux hommes à la puberté, sous l’effet de la testostérone. Celle-ci connaît trois pics de production : in utéro (elle modèle alors le cerveau, les gamètes et les organes génitaux), puis de nouveau peu après la naissance (période qualifiée de prépuberté et dont on connaît peu les effets) et enfin lors de la puberté. Ce dernier pic ne redescend qu’à peine et les effets de la testostérone sont plus ou moins constants jusqu’à environ 40 ans, où le taux commence à baisser – mais d’autres facteurs peuvent causer une baisse, comme d’être dans une relation amoureuse ou de s’occuper de ses enfants, j’y reviendrai. Des variations adviennent aussi par l’interaction avec l’environnement – perception d’un danger, situation de rivalité, sentiment de victoire ou de défaite.

La puberté des hommes se déclenche une année après celle des femmes (ce qui explique la différence de taille, leur poussée de croissance part d’une base plus haute). La testostérone façonne alors ce corps plus massif et puissant, à la forme inverse du féminin : étroitesse de la taille et largeur des épaules et du cou, tandis qu’elles gardent des attaches plus fines et élargissent leurs hanches. Ils y gagnent aussi des poils, une pomme d’Adam, une voix plus grave, plus tard peut-être, selon leurs gènes, une calvitie, alors que les femmes, tout en voyant s’épaissir et s’obscurcir leurs poils en certains endroits, notamment sous les aisselles et sur le pubis, gardent le duvet de l’enfance, leur voix se modifie à peine et leurs seins se développent, tout ceci sous l’effet de l’estrogène, de la progestérone, mais aussi de la testostérone, en quantité moindre (les hommes en produisent 10 à 20 fois plus que les femmes, 30 fois plus pendant la puberté). Ainsi, aux caractéristiques primaires du sexe présentes à la naissance (organes génitaux internes et externes) s’ajoutent les caractéristiques secondaires à la puberté.

Nos sociétés citadines, technicisées et égalitaires peuvent nous faire oublier l’ampleur de l’écart de force entre les sexes, qui ne s’est pas résorbé avec l’accès des femmes aux mêmes droits que les hommes. Néanmoins, le corps des femmes n’est inférieur que si on prend la force comme critère d’évaluation d’un corps, et non sa capacité à porter, former, mettre au jour puis nourrir une vie nouvelle dans une sorte de symbiose, en répondant précisément à ses besoins nutritifs. C’est là où la graisse est utile et où la mode actuelle qui encourage les femmes à la maigreur ou à la musculature est profondément misogyne.

On dit souvent qu’elle est imposée par les hommes, mais je me demande si elle ne l’est pas par les femmes elles-mêmes, qui souhaitent avoir un corps d’homme, le trouvant plus désirable ou enviant sa position dominante. Je n’ai jamais entendu des hommes critiquer les corps des femmes avec autant de férocité que les femmes entre elles ; et ils semblent aimer précisément ce qu’elles détestent : les rondeurs, la tendresse de la chair, ce qui fait sens d’un point de vue strictement biologique et évolutif, puisqu’elles sont promesse de fécondité. Mais certains ne sont pas en reste de remarques désobligeantes ou malvenues, je vous l’accorde.

De même, dans le psychisme, la testostérone est décisive. Sous son influence, les hommes sont par nature plus compétitifs et violents, plus attirés par des postes situés en haut de la hiérarchie sociale ou qui mettent leur vie en danger, ainsi que par des professions qui ont affaire avec la fabrication ou le transport. Ce n’est pas le cas de tous les hommes et d’aucune femme, c’est une tendance dominante et qui ne domine pas seulement à cause de notre conditionnement social, mais aussi par la structure de notre cerveau, décidée in-utéro. Cette partition sexuée se perçoit dès l’enfance dans la manière de jouer : les garçons préféreront la lutte, parfois réelle, parfois imaginaire (dans leurs dessins et leurs histoires), ils montreront davantage de curiosité pour les choses que pour les personnes, choisiront des tracteurs et des armes plutôt que des poupées et des ustensiles ; tandis que les filles ne chercheront pas la guerre, préféreront l’interaction sociale, les jeux tournant autour de la maison. Mais il y a aussi des activités neutres, plaisant autant aux deux sexes, comme le coloriage ou les puzzles.

C’est avec le temps que les jeux deviennent genrés, ainsi que les groupes d’amis ; et les filles accepteront plus facilement parmi elles les garçons qui partagent leurs goûts que les garçons n’accepteront les filles qui leur ressemblent. Surtout, ils jugeront davantage les garçons qui jouent avec les filles que les filles ne jugeront les filles qui jouent avec les garçons. Les filles exposées à plus de testostérone in-utéro ont des habitudes de jeux entre-deux, plus proches de celles des garçons sans leur être identiques. Souvent, elles deviennent homosexuelles à l’âge adulte (30 % se déclarent bi ou lesbiennes contre 4 % dans la population globale). La testostérone déciderait donc en partie de l’orientation sexuelle et, en effet, la grande majorité des hommes est attirée par les femmes ; mais les études apportent moins de résultats concernant la corrélation entre défaut de testostérone in-utéro chez les mâles et homosexualité.

Une hypothèse serait qu’une certaine masculinisation ou féminisation des cerveaux respectivement femelle et mâle, à la suite de l’exposition plus ou moins grande de testostérone in-utéro par rapport à son sexe d’appartenance, donnerait l’homosexualité, ce qui ne revient pas à dire que ces sujets sont moins hommes ou femmes que les autres membres de leur sexe ou qu’ils ont un cerveau de femme dans un corps d’homme et vice versa, mais ils développeraient l’attirance et certains autres traits de l’autre sexe. De toute façon, toutes ces études n’amènent pas à un déterminisme automatique : 30 %, ce n’est pas 100 %, place est laissée à la variation et à l’inconnu.

L’écart de comportement est surtout marqué dans la sexualité et il n’y a rien d’étonnant à ce que les sexes diffèrent précisément sur ce point : les hommes ont une libido qui se renouvelle plus vite et se trouve plus facilement attirée par la nouveauté. Ce qui, encore une fois, fait parfaitement sens d’un point de vue reproductif : ils ont plus de gamètes à disposition et ne doivent pas porter l’enfant. Leur orgasme est aussi plus concentré et centré autour de l’organe génital, tandis que celui des femmes est plus diffus, qu’elles peuvent en avoir plusieurs à la suite et en plusieurs endroits. Leur libido varie selon les périodes de leur cycle, et elle est souvent plus réactive (répondant à des situations sexuelles) que proactive (suscitant ces situations). Les femmes choisissent avec plus de critères et de précaution leur partenaire, sans se fier à la simple attirance et en associant l’émotion à la séduction. Comme le résumait une amie : le romantique est chez elles érotique. Mais leur sexualité est plus compliquée à étudier que celle des hommes – chez qui l’érection et la production de testostérone sont facilement mesurables. Elle dépend sans doute de leurs propres hormones (estrogène et progestérone), plutôt que de la testostérone.

Les hommes pensent davantage au sexe et tendent à objectiver ce qu’ils désirent. Cette tendance ne vise pas spécifiquement les femmes afin de les asservir. Ils agissent ainsi avec d’autres hommes quand ce sont eux qu’ils désirent. Hooven compare les mondes gay et lesbien pour montrer comment la séduction et les relations y fonctionnent très différemment (les lesbiennes ont des relations plus stables, moins centrées autour de la sexualité et celle-ci se dissocie rarement du sentiment). Il n’est pas non plus étonnant, sachant cela, que les clients de la pornographie et de la prostitution ou les coupables de crimes sexuels soient presque exclusivement des hommes. Cependant, que presque tous les prédateurs sexuels soient des hommes ne signifie pas que tout homme est un prédateur potentiel – c’est même une minorité d’hommes qui semble concernée. De même, que la testostérone puisse prédisposer à ce type d’agissements, parce qu’elle encourage le passage à l’acte, n’amène pas à dire qu’elle les produit systématiquement par un déterminisme inévitable, ce qui reviendrait à déresponsabiliser leurs auteurs : ces violences varient grandement selon les individus et les civilisations ; et nous avons réussi à les réduire considérablement. En outre, il est injustifiable qu’un sexe affirme son existence aux dépens de l’autre.

Les humains sont des animaux parmi d’autres et leur sexualité dépend de sa fonction : la reproduction, même si ce n’est plus ce qu’elle vise aujourd’hui et qu’elle a toujours comporté des exceptions et des variations. Si nous nous comparons aux autres espèces départagées entre mâles et femelles, nous nous trouvons dans une situation singulière. Ni celle des cerfs qui combattent à l’automne, paré de leurs nouveaux bois, pour occuper la place de mâle alpha et féconder de multiples femelles. Puis une fois la testostérone retombée, et les bois avec, après la période de chaleur des femelles, ils restent entre mâles, se comportant en bons camarades, et ne s’occupent pas des enfants à naître. Ni celle de nombreux oiseaux qui se taillent un territoire, parfois préparent un nid, paradent devant les femelles et sont choisis par elles. Ils resteront avec leur compagne pour nourrir les petits sans défense, qu’elle doit protéger et réchauffer. Leur fidélité s’étend sur une ou plusieurs années, parfois toute la vie – c’est plutôt la femelle qui a tendance à tromper, si l’occasion se présente.

La sexualité humaine ne connaît pas de saisonnalité, ce en quoi elle est proche de celle des primates, mais ceux-ci savent par des signes clairs si une femelle est en chaleur (c’est-à-dire favorable à la reproduction), ce qui n’est pas le cas des humains, bien que certains indices, comme l’odeur, pourraient informer les mâles et que les femelles prennent plus souvent l’initiative dans ce cas. En effet, ici, la sélection est réciproque : elle dépend du choix du mâle et de sa capacité à l’emporter sur les autres mâles, mais aussi du choix de la femelle, qui ne va pas aller vers celui qui s’annonce un piètre parent. Le rôle de père conditionne la sexualité masculine. Le taux de testostérone baisse et se stabilise lorsqu’un homme est dans une relation amoureuse et de nouveau s’il a des enfants et s’occupe d’eux – s’il ne s’en occupe pas, le taux reste haut, il remonte aussi quand les enfants crient ou pleurent, sans doute par réflexe de protection. Le mâle alpha, qui multiplie les conquêtes et manque de cœur, n’est donc pas particulièrement favorisé par la nature : il doit toujours entrer en compétition avec les autres mâles et n’a pas non plus grande chance de plaire aux femelles, il laissera au final moins de descendants.

Venons-en à l’agressivité. On reproche souvent à la testostérone d’être responsable de toute la violence humaine. Les statistiques paraissent le confirmer. Les hommes sont responsables de l’écrasante majorité de la violence et de la criminalité : ils représentent plus de 90 % des auteurs de viols, de meurtres et de coups et blessures. Si les femmes sont les principales victimes de leur violence sexuelle, les hommes eux-mêmes sont les premières victimes des meurtres et des coups et blessures des autres hommes.

Il faut aussi préciser que si les femmes sont moins ou non violentes, elles ne sont pas moins agressives que les hommes. Lorsqu’elles font preuve de cruauté ou poursuivent des intentions peu charitables, leurs méthodes ne sont pas les mêmes, et ce dès l’enfance et l’adolescence. À la confrontation physique, elles préfèrent la persuasion, voire la manipulation. Au lieu de fomenter guerres et combats, elles opèrent par ostracisme social et humiliation. Par ailleurs, une étude portant sur la violence domestique dans plusieurs villes européennes montre que les femmes s’en rendent coupables autant que les hommes, mais avec des effets moins catastrophiques – parce qu’elles sont moins fortes et aussi plus empathiques, ce qui leur donne un meilleur sens des limites (et les rendrait aussi plus sensibles à la contagion sociale ou à la suggestion psychique, selon d’autres hypothèses concernant les épidémies de troubles alimentaires ou de dysphorie de genre chez les adolescentes).

La testostérone donne une puissance psychique autant que physique : moins d’empathie, un accès plus difficile à ses propres émotions, plus d’audace et d’insouciance. Le taux plus bas de la femme la rend plus prudente, prévoyante et plus accordée aux émotions, les siennes comme celles des autres. Autant de traits qui font sens au sein de l’évolution (même s’ils peuvent aujourd’hui nous déplaire) puisqu’elle est destinée à porter et s’occuper des enfants. La testostérone est par ailleurs la cause de la bravoure irréfléchie autant que de la violence gratuite : les hommes risquent plus souvent leur vie pour sauver celle d’autrui dans des situations extrêmes. Il ne sert à rien de louer ou diaboliser cette hormone outre mesure.

Nuançons. Un homme saturé de testostérone ne devient pas un surhomme. Déjà, parce qu’il y a un effet de plafond : au-delà d’un certain seuil, l’hormone ne produit pas davantage d’effets, mais aussi parce qu’un excès de testostérone est plutôt contre-productif, dans la reproduction comme je l’ai déjà dit et dans la société en général, où une agressivité incontrôlée ne permet pas de s’insérer.

Par contre, les femmes ayant peu de testostérone, les variations de leur taux se perçoivent davantage. Celles qui ont été exposées à un surplus in utéro (et dont j’ai déjà exposé les jeux genrés au masculin) préfèrent ensuite des métiers généralement occupés par des hommes, où elles sont aussi mieux payées que la moyenne des femmes – puisque ce monde a été fait par et pour des hommes. Celles qui transitionnent, vivent comme des hommes et parfois détransitionnent témoignent aussi de ces métamorphoses psychiques : l’importance que prend la sexualité, la différence d’orgasme, mais aussi l’incapacité à pleurer, les accès de colère, l’impression d’être plus fort qu’on ne l’est, l’effet presque euphorisant de cette puissance, certain(e)s allant jusqu’à qualifier la testostérone d’antidépresseur – et en effet, les femmes souffrent plus souvent de la dépression que les hommes, mais la testostérone n’est pas pour autant un remède miracle à la dépression, ni chez les hommes, ni chez les femmes.

À tout ceci s’ajoute la métamorphose corporelle : elles traversent la puberté masculine et en adoptent presque tous les traits, jusqu’à l’acné, à part la taille (puisqu’elles ne sont plus en pleine croissance) et la silhouette (elles gardent leurs hanches larges et leurs attaches fines). Le clitoris grossit aussi. À l’inverse, les hommes qui transitionnent en femmes après la puberté ne peuvent effacer les effets de la testostérone, que leurs testicules continuent par ailleurs à produire, mais ils peuvent recourir à la chirurgie et au laser pour les mitiger. Sous l’influence des hormones féminines, ils perdent en muscles et leurs poils s’affinent. Ils rapportent aussi des changements dans leur sexualité et leurs émotions, mais ceux-ci restent difficiles à évaluer par manque d’études sur le sujet et certains déclarent que la sexualité que des hommes identifiés femmes, dits aussi femmes trans, reste celle des hommes, même après la transition et une opération pour créer une sorte de vagin.

À cause de cette irréversibilité de la puberté masculine, les activistes (qui sont principalement des hommes) ont encouragé la prescription de bloqueurs de puberté, cependant ces médicaments ont des effets encore inconnus sur la santé. Il est certain qu’ils altèrent la fertilité, mais sans doute aussi l’état des os et du cerveau, la capacité au plaisir ou la fonctionnalité des organes génitaux. Sans prendre position, Hooven rappelle que la plupart des enfants souffrant d’une dysphorie de genre la voient se résorber avec la puberté (85 %) tandis que presque tous les enfants soumis aux bloqueurs de puberté perdurent dans la dysphorie et continuent avec la prise d’hormones de l’autre sexe (95 %). D’après ses analyses précédentes, la dysphorie des mineurs donnerait lieu le plus souvent à une future homosexualité ou bisexualité – et non à la transsexualité.

Les deux sexes sont proches, très proches, plus que dans les autres espèces animales départagées entre mâles et femelles, presque pareils en vérité. Sans doute, d’un point de vue évolutif, parce que les enfants grandissaient mieux avec leurs deux parents et que la fidélité du père a décru la rivalité entre mâles. Comme le dit Hooven, « we are made from almost the exact same stuff ». Certes, dès la conception, les dés sont jetés (chromosome X de l’ovule, X ou Y du spermatozoïde), mais jusqu’à la sixième semaine, les fœtus sont identiques, des amas de cellules similaires se différenciant, et c’est le gène SRY sur le chromosome Y qui clive l’espèce, donnant l’ordre de développer les testicules qui produiront la testostérone. Celle-ci voyage dans le sang en toutes petites quantités, les récepteurs d’androgènes l’intègrent dans les cellules, dont celles du cerveau, y créant un circuit qu’activera une nouvelle poussée de testostérone à la puberté. L’hormone ne décide pas tout de la personne – comptent les autres gènes et les autres hormones, mais aussi l’environnement et l’expérience. Elle ne sert qu’à disposer le corps et le comportement au rôle reproductif.

Sans chromosome Y et gène SRY, ou bien si les testicules ne se développent pas ou ne produisent pas de testostérone ou si les récepteurs ne savent pas l’intégrer dans les cellules, autant de variations qui arrivent et donnent des désordres du développement sexuel, bref, sans les effets de la testostérone, le fœtus sera femelle, qui est donc le sexe par défaut. C’est pourquoi la testostérone est appelée l’hormone mâle, non parce que les femmes n’en ont pas (elles en ont), mais parce qu’elle crée le mâle à partir de la femelle, séparant les sexes de leur unité première.

Des mêmes cellules sont issus les ovaires ou les testicules, des mêmes cellules sont faits le clitoris ou le pénis, le scrotum ou les lèvres. Ajustements mineurs à un même plan, remarque Hooven. Physiquement comme psychiquement, nos différences se détachent donc sur un fond de ressemblance. Le dimorphisme sexuel ne remet pas en question une commune humanité, une même aptitude à la pensée et à la sensibilité. Mais la recherche sur le sujet nous renseigne sur le schéma de nos comportements, sans éviter parfois un certain schématisme.

Hooven étaye son raisonnement d’explications et d’exemples. Je ne fais que résumer, donc simplifier, ses résultats et je n’ai pas la formation pour départager le vrai du faux. Mais ne craignons pas ce que ces conceptions peuvent avoir de rétrograde ou de déterministe. Ce qui est dangereux, c’est d’avoir peur des idées et des découvertes, de refuser le bouleversement du savoir pour préserver l’immobilité de son monde, même lorsque celui-ci se renferme sur soi. Son exposé est clair, concis, précis et il sait poser les limites de son savoir : l’autrice ne prétend pas apporter une réponse aux enjeux philosophiques de la différence sexuelle à partir de ses connaissances en biologie, mais elle rappelle qu’on ne peut pas y répondre en faisant l’impasse sur la biologie.

Se présente le dilemme nature/culture, qui à mes yeux n’en est pas un. Ce dualisme en reprend d’autres, ceux de l’âme et du corps, de l’inné et de l’acquis. Interprétées de manière littérale et figée, comme si chaque terme désignait une essence différente, ces oppositions perdent leur sens et faussent les problèmes abordés, mais elles ont une vérité si nous les comprenons comme une articulation multiple et mouvante, une interaction entre proposition et interprétation, un environnement en mutation, un jeu aussi infini que la vie. À titre personnel, je dirais que tout est nature, mais que cette nature varie et s’invente en se déclinant en cultures, y compris chez les animaux, comme le montrent les dernières recherches sur le comportement animal où les parents transmettent des outils ou des chants qui leur sont propres (et non propres à l’espèce) à leurs enfants, qui à leur tour les interprètent chacun à leur manière. Dans la culture s’entrecroisent l’héritage des générations passées, la créativité commune et la créativité propre, singulière, l’ajout de chacun. Par rapport aux autres animaux, nous avons une culture plus large et riche, une plus grande possibilité de transmission et d’invention. La nature ne prescrit pas notre destinée, elle nous donne l’encre et le papier et nous improvisons l’histoire. Elle n’est pas le bien et la culture le mal. Mais pas non plus le mal et la culture le bien.

Pour revenir à notre sujet, toutes ces informations ne signifient pas que les femmes doivent générer des enfants à la chaîne et les hommes se taper dessus pour en être les pères. Évidemment, non. Notre sexe et notre sexualité ne sont qu’une des multiples données de notre être – et rien ne nous oblige à penser que ce soit la plus importante, loin de là. Autrement dit, non seulement nous ne nous résumons pas à notre nature, mais notre nature ne se résume pas à notre sexe. De plus, hommes et femmes ont plus en commun qu’en différences ; et ces différences, nous nous y frottons. Les sexes ne vivent pas sur des planètes séparées (Mars et Vénus, paraît-il), ils interagissent sans cesse, se façonnent réciproquement dans l’amour, l’amitié, l’hostilité, la rivalité ; et les hommes apprennent des femmes (par exemple, leur capacité à mettre en mots, ressentir, pressentir) et les femmes des hommes (l’oubli du risque, le goût de l’aventure, la démesure de l’ambition), et cet échange n’est jamais aussi évident que dans la vie sexuelle, où se cherche un accord qui amplifiera le plaisir de chacun. 

Je vais me prendre pour exemple, puisque je n’ai que moi sous la main : d’après les descriptions de Hooven, je suis typiquement femme, physiquement et psychiquement, dans ma sexualité et dans la société. Cependant, elle relève des traits propres aux femmes que je n’ai jamais supportés, et ce depuis l’enfance, et que je méprise en moi-même quand je m’y prête, comme la tendance à l’ostracisme. Je ne me retrouve pas non plus dans l’importance de l’interaction sociale. Je suis une solitaire. Je partage enfin certains traits qu’elle relève chez les hommes – le goût de l’aventure, mais je fuis toute forme de compétition. Bref, aucune personnalité ne correspond à un type. De même, aucun enfant ne joue à 100 % avec les jouets associés à son sexe. Il y a toujours du mélange et de la divergence. Je me demande aussi si nous ne devenons pas ce que nous aimons, si ce que j’aime chez celui que j’aime, je ne l’imite pas au point de le faire mien. La curiosité pour les choses, la physis, l’univers, une franchise qui fait fi de trop d’empathie, une manière de ne pas penser à mal ou en tout cas de ne jamais médire, une peur qu’il préfère traverser que traîner derrière lui, etc.

La socialisation joue son rôle, mais elle n’a pas été inventée à partir de rien. Quelque chose de la nature perdure dans toute culture. Lorsqu’on examine les stéréotypes de genre, il faut séparer la réalité du fantasme au lieu d’affirmer que tout est faux ou, pire, que la vérité n’existe pas. En tant que femme, je trouve difficile de sous-estimer l’importance des hormones, puisque j’éprouve chaque mois les effets de leur variation. Un autre argument prouve la place de l’inné dans nos comportements genrés : à l’adolescence, avec la poussée des hormones, l’écart de violence entre filles et garçons s’agrandit considérablement, sans que cela puisse être dû à une poussée de socialisation genrée à la même période et dans tous les pays.

Bien que je sois féministe dans la mesure où je défends les droits des femmes, fondés sur leur spécificité physique et psychique, je ne me retrouve pas dans les idéologies des féministes que je connais. Je ne crois pas que les hommes soient comme ils sont simplement à cause de leur socialisation, ni que les rééduquer leur retirera leur privilège mâle – mieux vaut réformer la société pour y reconnaître le rôle des femmes que les déchoir du leur. Je ne crois pas non plus que les hommes soient mauvais par naissance, irrémédiablement, et ne méritent aucune rédemption. Je n’adhère donc ni à la critique fondée sur la culture ni à celle fondée sur la nature. Sur cette dernière porte mon principal désaccord avec les féministes. J’ai vu, très tôt, des exemples de cruauté féminine qui m’ont à jamais interdit de penser que le mal était du côté des mâles (et je sais trop bien la part que le mal occupe en moi, et ceux qui se croient des anges m’inspirent la plus grande des méfiances). L’idée d’une masculinité toxique ou, pire, que toute masculinité est toxique, appartient à ce type de cruauté : comment dire à quelqu’un que sa nature est néfaste, que sa chair et son sang sont toxiques, qu’il est le mal incarné ? Cependant, j’ai conscience également de la violence et surtout de la violence sexuelle, insoutenable, injustifiable, dont un des sexes est coupable à l’encontre de l’autre et je n’ai pas de réponse sur la façon dont considérer la masculinité – il est permis aussi de laisser des blancs dans la pensée et peut-être que ce n’est pas à nous, les femmes, d’apporter ici la réponse. Ce qui compte, c’est de faire porter la responsabilité de cette violence aux hommes et non aux femmes et c’est déjà le cas dans de nombreuses cultures.

Les féministes m’ont souvent fait croire que tout ce que j’étais venait de mon éducation en tant que femme et non du fait que je suis femme. Que ce soit le caractère, les goûts, les jeux, les métiers, la sexualité, c’est comme si elles méprisaient tout ce qui est féminin et qui nous serait assigné par les hommes : le désir de comprendre et compatir, la sensibilité à l’esthétique, l’intérêt pour l’intime, les métiers de soin ou d’art, les jeux avec les poupées, les déguisements, une sexualité plus sélective et sentimentale, pourquoi devrions-nous en avoir honte comme s’ils marquaient notre statut d’inférieures, notre défaite dans le combat pour l’égalité ? Dois-je rappeler que c’est l’homme qui dérive de la femme et non l’inverse ? Je suis ma propre norme, ils sont ma différence. L’intérêt du féminisme consiste entre autres à promouvoir des valeurs féminines (qu’elles soient naturelles ou culturelles, peu importe ici), à réformer la société en fonction d’elles, de leurs idéaux d’égalité, de réciprocité, de compassion, de protection, sans pour autant exclure les valeurs masculines qui leur sont complémentaires : l’autorité, le risque, la rivalité et la confrontation.

Je vois aussi émerger la mode d’un féminisme violent. Mesdames, c’est tout à notre honneur qu’il ne le soit pas. D’où vient cette folie de vouloir être des hommes ? Et si nous les prenons pour modèles, n’y a-t-il pas mieux à imiter ? Et si nous les prenons pour modèles, nous serons toujours moindres…

J’aime les femmes et j’aime en être une. Ce ne fut pas facile, puisqu’une société façonnée par des hommes m’a appris à mépriser le féminin et que le féminisme, semblant me libérer de ce mépris, l’a reconduit sous une autre forme. Je n’ai jamais voulu être un homme, mais j’ai voulu de toutes mes forces ne pas être une femme. Mon amour est d’autant plus inébranlable qu’il a traversé ces épreuves. Une amie me disait que mon assurance à être femme, alors même que je n’en adopte pas les codes (par exemple, je n’ai jamais mis de maquillage ni porté de talons) était contagieuse et je l’espère. Je souhaite que les femmes aiment être des femmes, sachent qu’elles le sont quoi qu’elles fassent et n’aient aucun doute sur leur féminité, quelle que soit la forme qu’elle lui donne. Que les hommes aient toute la testostérone dont ils ont besoin ; nous sommes très bien avec le peu qui nous est échu. Nous avons d’autres secrets.


Publié le

dans

par

Commentaires

5 réponses à « La testostérone, l’hormone qui nous divise »

  1. Avatar de toutloperaoupresque655890715

    Très intéressant !
    Merci Joséphine, et bonne journée.

    Aimé par 1 personne

    1. Avatar de Joséphine Lanesem

      Merci 🙂
      A bientôt !

      J’aime

  2. Avatar de Girard A

    Passionnante (et instructive) remise à plat.

    Aimé par 1 personne

    1. Avatar de Joséphine Lanesem

      Merci, c’est grâce au livre 🙂 Je pensais que cet article sur le corps (entre autres) pouvait t’intéresser !

      J’aime

  3. Avatar de Nouvelle typologie de la personnalité – Nervures et Entailles

    […] que les libéraux, mais les femmes bien plus que les hommes, notamment à partir de la puberté (la testostérone y joue un rôle). Sans doute que les femmes, en tant que protectrices des petits, sujettes à la prédation […]

    J’aime

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Propulsé par WordPress.com.

%d blogueurs aiment cette page :