L’écriture articule le monde. J’en attends précision, justesse et cohérence. Pas des effets charmants ni de grands sentiments. Non, bien moins, beaucoup plus : la vérité. D’elle seule jaillit la beauté, vibre l’émotion. La première règle serait donc : on ne dit pas n’importe quoi. Mais suivie avec trop de rigidité, elle amène à ne plus rien dire, puisque toute parole dévie en partie de sa cible. Le réel nous échappe, le verbe le crible de flèches sans jamais l’arrêter, nous courons sans cesse après ses traces en y mêlant les nôtres. La vérité n’est pas une identité parfaite et définitive entre le mot et la chose, mais un degré moindre d’erreur, et l’erreur a sa richesse, comme les méandres d’un sentier qui porterait plus loin par ses détours que le droit chemin, même si, pour finir, il arrive au même point – mais verrons-nous le point de la même manière après des approches si différentes ? Et la vérité ne se résume-t-elle pas à une certaine manière de voir ?
Mon exigence de vérité a longtemps entravé mon écriture. D’une chose, je ne devais dire que ce qui en rendrait compte une fois pour toutes. Le dernier mot était le seul permis. Alors qu’il n’y a pas de dernier mot, et c’est pourquoi on écrit encore et toujours sur les mêmes choses. La vérité existe – que ceux qui affirment le contraire renoncent aussitôt à la parole, puisque celle-ci présuppose la vérité comme accord entre locuteurs et entre référant et référé – mais elle n’existe pas comme une essence de la chose, unique et fixe, plutôt comme une circulation de sens, aussi palpable qu’insaisissable, dont les mots, dans leur arbitraire apparent et leur malléabilité immatérielle, sont l’image merveilleusement adéquate. Il faut donc ménager dans la précision l’approximation, dans la justesse la dissonance, dans la cohérence le chaos.
Assimilée à cette circulation du sens, la vérité prend le nom de mystère. Ce mystère, nous en avons tous l’intuition, il appartient à l’expérience, à des faits aussi indubitables qu’inexplicables : connexions, coïncidences, correspondances, prescience d’un sens qui nous dépasse. Il s’agit du niveau de conscience le plus bas, sans la dévalorisation qui connote la bassesse, à la portée de tout vivant, sans développement particulier de l’intelligence, encore que, pour y avoir accès, il faille tout de même ouvrir les yeux. Certains écarteront ce mystère de leur pensée éclairée par la raison, comme une illusion subjective, une reconstruction rétrospective, d’autres l’intégreront au système de valeurs qui les entoure, ajoutant une pierre à l’édifice de la croyance et de la superstition. Mais il est possible de ne pas balayer ni statufier le mystère, de le prendre pour ce qu’il est : un aperçu, vertigineux, vers l’être, un rappel bref de notre nature, une révélation dont on ne peut parler que par métaphore, en décalage, à demi-mot, au risque de la trahir.
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