Appel des cimes et des aurores, principe qui distingue, condense, décante, logique de la corde tirée entre les branches de l’arc ou sous les pieds du funambule, caractère de ce qui est vif, subtil, inédit, mais aussi imprévisible, inachevé, volatil. Summum et dispersion. Appel difficile à suivre parce qu’il y faut non seulement des qualités d’exception, mais un certain degré d’élitisme.
Serait-elle un leurre ? Une compensation pour notre vie terne et sans relief. Ou pire, un péché de l’humanité contre la nature ? L’hybris de notre désir qui rien ne saurait satisfaire. Ou encore, la maladie de notre société ? Toujours plus, plus vite, plus fort, pour s’étourdir de sensations par manque de sens ou de présence.
Il y a deux intensités. La quantitative. Il s’agit alors d’une addiction : stimulation incessante et croissante d’un sujet qui à force s’émousse et s’épuise et, paradoxalement, cherche à se restaurer par davantage de stimulations. Ordre donc de la surenchère et de la consommation. Intensité qui, loin de donner la vie, en est l’hémorragie.
L’autre intensité, la qualitative, est tout le contraire. Elle ne se soucie pas du moins et du plus, mais de la justesse. Elle sauve de cette lassitude, de ce dégoût, car elle est le sens fait sensation, la présence que n’entame aucune aliénation. L’éveil que donnerait à la peau, non une secousse électrique, mais la caresse de celui que je désire. Aucune basse assourdissante, rien que le battement du sang. C’est un instant de vérité tel que la vie y accomplit toutes ses possibilités : elle pourrait s’achever sans perte.
Cette intensité, si belle, est la promesse et la trahison de la littérature. Élevée avant tout par les livres que j’ai aimés, j’y ai trouvé le meilleur de ce que leurs auteurs et autrices ont pensé et senti. La révélation était mon pain quotidien, l’étonnement, au sens fort, une source inépuisable. Mais le monde, lui, n’offre cette intensité que par occasions, rares ou répétées, selon les époques de la vie, ou l’éveil de notre conscience, ou l’innocence de notre âme, que sais-je… En tout cas, seulement par moments. Et comment vivre entre ces moments, quand me manquent les livres ?
C’est là que les contraires se rapprochent. Les contraires sont toujours bien plus proches qu’on ne le croit – bien et mal, intelligence et bêtise, etc. Ayant connu l’intensité qualitative et me refusant à vivre en dessous d’elle, je me suis souvent rabattue sur la quantitative, mettant en danger ma capacité à retrouver la première, ruinant la sensibilité qui permet d’y accéder.
La littérature m’a obligée à une exigence invraisemblable envers la vie, et je lui en suis reconnaissante, mais cette exigence risque souvent d’être tragique, de lancer à pleine vitesse dans une trajectoire de comète… Long apprentissage alors de vivre le vide, l’entre-deux, la vie sans vérité. D’être fidèle à la littérature, en comprenant que c’est elle qui, sans le vouloir, m’a trompée.
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