
Entre le documentaire et l’imaginaire, le manuscrit en travail et le livre achevé, l’expérimentation des hybridations et la codification du genre, la solitude dont se nourrit l’écriture et la rencontre qu’elle poursuit, la revue ménage une transition indispensable, un espace riche de ses métamorphoses, une marge blanche où s’inventer et se réinventer. J’en ai découvert de très belles récemment : La femelle du requin, La moitié du fourbi, La mer gelée et vous ai déjà parlé d’Artichaut et d’Espace(s). Toutes sont des objets d’art autant que de littérature, au graphisme extrêmement soigné.
Aujourd’hui, je vous présente La Piscine, fondée par Louise Imagine, Christophe Sanchez, Philippe Castelneau et Alain Mouton. Diptyque et symétrique, d’un côté en noir et blanc, de l’autre en couleurs, elle se traverse comme une piscine, longueurs allée-retour, entre surface et profondeur, textes et images. Incroyablement diverse dans ses esthétiques et ses styles, elle accepte, sans préconçu ni préjugé, ce qui répond avec exigence et originalité à son thème, dans le numéro 2 Incidences, Coïncidences, ainsi présenté : « Connexion et pouvoir de la pensée, impression de « déjà vu », loi de Murphy, synchronicité ; personnes, lieux, circonstances qui font douter, rêver, s’émerveiller et bouleversent ainsi nos parcours de vie. Les coïncidences sont-elles uniquement le fruit du hasard ? Quelle est la part insidieuse de nos croyances dans le déroulé de l’existence ? Quelles en sont les incidences ? Qui agit sur qui, sur quoi et pourquoi ? Du cercle vertueux à la spirale infernale, que signifient ces phénomènes ? »
M’ont charmée tout particulièrement le romantisme noir d’Alexis Piat dans une nouvelle peuplée de bougies où se réfugient les anges, l’expérience d’un « espace sans nom » par Jérémy Taleyson, où est annulée pour quelques jours la réduction des choses aux mots, du sensible au symbolique, de l’espace à sa signalétique, et la poésie loufoque, un rien grinçante de Jindra Kratochvil ; mais la Piscine abrite bien d’autres curieux poissons et fantasques libellules. J’y ai moi-même raconté une rencontre, dans un texte bref intitulé Ce jour-là. À la fois épurée et fragmentée, transparente et chatoyante, comme la surface de la piscine dont elle tire son nom, cette revue semble jouer des rencontres fortuites ou destinées, du choc entre arts et univers, suscitant glissements et chevauchements, ondes et ondulations. Le thème de ce numéro lui va donc à merveille.
La revue est une résistance. Littérature mineure et marginale dans un monde de monopole et tout autant littérature libre et libertine dans un monde de dépendances, elle risque de s’éteindre d’un numéro à l’autre, si la vente de l’un n’assure pas la production du prochain ; mais elle brille d’autant plus que ce pourrait être la dernière fois – luciole, petite clarté. D’où la nécessité de les soutenir, les acheter, les prêter, les lire, les réciter, afin de réaliser le rêve de toute revue : une communauté de solitaires.
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