Ramuz, un nom qui « chante doux et triste », une brise qui devient bise. Sa langue est à l’image de la montagne. À la fois populaire et sacrée, lente, répétitive, accidentée, lumineuse pourtant, alternant la force du noir et blanc à la réjouissance des plus vives et naïves couleurs et ménageant un silence peuplé de gazouillements, glougloutements et tintinnabulements.
« Plus rien là-haut que le vieux Plan avec son troupeau de moutons et le troupeau errait dans les ravins comme l’ombre d’un nuage.
Il est obligé de se déplacer tout le temps. Rien ne pousse, en effet, dans ces solitudes, qu’un peu de gazon maigre par les fentes des pierres, comme dans une cour pavée et dans l’entre-deux des pavés ; il faut que le troupeau le mendie brin à brin. Alors il avance, et il broute tout en avançant. Du matin au soir, il est en marche. Il est carré, il est pointu, il est en forme de triangle, il est en forme de rectangle, et, tantôt sur les pentes, tantôt dans le fond de la combe, imite l’ombre d’un nuage dont le vent modifierait continuellement la disposition au-dessus de vous. Il avance, il se recourbe en passant sur une bosse, il se recourbe dans l’autre sens en s’enfonçant dans un creux. Il devient convexe, il devient concave ; il fait un bruit de pluie avec ses pattes. Il fait avec ses dents un bruit comme quand les vagues, par temps doux, reviennent à petits coups heurter les cailloux sur le rivage.
Lui, se tenait planté en terre tout à côté comme un vieux mélèze touché par l’hiver.
(…)
On voit le troupeau dégringoler dans la pierraille, lui-même comme une chute de pierres.
On le voit, dans le fond d’un creux, comme un petit lac aux eaux troubles quand un peu de vent passe dessus.
On le voit qui erre sur les pentes où il semble l’ombre d’un nuage. »
« Antoine va du côté où le torrent coule, du côté où les oiseaux lui disent d’aller, augmentant sans cesse leur nombre. Et non plus seulement les
grands oiseaux tristes de la haute montagne qui planent solitairement au-dessus des précipices, comme l’aigle ; non plus seulement le milan qui guette de haut sa proie tapie parmi les rocs ; non plus seulement les choucas qu’on voit tourner et voleter, noirs avec un bec jaune, autour d’une fissure où ils ont leurs nids au flanc des parois. Les oiseaux plus petits, moins sauvages, les oiseaux de quand on descend ; de quand on quitte les rochers pour les pâturages, les pâturages pour la forêt : les geais criards, les ramiers qui roucoulent doux, et puis tous les oiseaux des haies, verts, gris, bruns, unis ou tachetés de jaune, de rouge, de bleu ; ceux qui ont une collerette ; ceux qui ont une petite plume de couleur à la queue, outre les pies blanches et noires ; – et ils se levaient en toujours plus grand nombre devant lui, lui montrant le chemin. Antoine se réjouissait de les voir et ils se réjouissaient de le voir, quoique peureux, poussant de petits cris effrayés, le merle, ou bien interrompant leur chanson commencée ; et lui : « Halte ! attendez-moi, ne vous sauvez pas ! Où allez-vous ? » les saluant d’un rire, parce que c’est la terre d’en bas qu’ils annoncent, la bonne chaleur, le pain et le vin en abondance, une maison, un vrai lit : « Salut !… Eh ! halte là. N’ayez pas peur, c’est moi. » »
Extraits de Derborence.
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