Écouter

Récit de rêve

Un examen sur plusieurs étages et je me trouve au dernier, dans un vieil immeuble parisien, le parquet luisant du ciel uniformément bleu étalé sur les vitres. Le sujet, philosophique, porte sur la douleur, une question qui à présent m’échappe, quelque chose comme : que peut-on contre la douleur ? À chaque heure, une pause. Tous lèvent leur stylo. Une des élèves se lève et discourt, délire, plainte d’une abandonnée. À la dernière heure, elle chante même, faux, sur l’amour. Les autres rient, chuchotent, s’impatientent. Elle trouble leurs pensées. Les examinateurs demandent si nous avons une remarque à faire avant de rendre nos copies. Je me lève : on peut écrire autant qu’on veut, la douleur ne s’en trouve pas réduite et devant elle nous sommes désarmés, ici elle se donne en spectacle (je désigne l’élève hystérique) et nous ne savons même pas la reconnaître, l’expérience sera toujours irréductible au discours savant. Mes camarades s’ennuient. L’élève qui délirait me regarde avec malice, elle glisse quelques mauvaises paroles à mon propos à sa voisine. L’escalier est au centre de la salle, derrière la loge de verre des examinateurs. En colimaçon dans un carré étroit, il lui manque les premières marches et je dois le retourner tout entier pour pouvoir descendre sans risquer de tomber dans le vide. Dans la cour, je comprends que cet examen portait sur le diagnostic, comment le poser, selon quels critères et quelle responsabilité il implique : j’ai parlé de toute autre chose, comme d’habitude. Une proposition de travail s’affiche sur l’écran de mon portable, ainsi que sur celui de plusieurs étudiantes : aller expliquer l’amour chez (un auteur dont j’ai oublié le nom) à des élèves de seconde qui auront un contrôle surprise dans quelques heures. Nous allons ensemble au lycée. Trois couloirs s’ouvrent, menant vers les différentes sections affichées en lettres d’or : les secondes restent des secondes, mais les premières s’appellent minutes et les terminales heures. J’emprunte donc le couloir lambrissé des secondes, son majestueux escalier double et déployé qui débouche sur une statue de marbre blanc : une femme qui en soutient une autre, mourante. J’explique l’amour à mon élève qui ressemble à un amour, un de ces angelots de tableau qui aurait grandi, avec des joues roses et rebondies, des cheveux blonds, courts et légèrement bouclés. Je lui conseille de ne pas apprendre par cœur ce que je lui dis et le consigner tel quel dans sa copie, mais d’écouter le texte, de se laisser guider par lui, d’en être le moule qui rend compte de ses moindres replis. Il entre en classe. La statue se modifie mais à peine et je ne perçois pas tout de suite en quoi : les corps maigrissent, ils se changent progressivement en squelettes, passant du marbre à l’os. Une jeune fille a tenté de se suicider, à présent elle dort – c’est la nuit – dans la chambre qu’elle partage avec sa petite sœur, encore au berceau. Sa mère entre, comme hantée, hallucinée. Elle s’approche de sa fille, se penche à son chevet et, avec une lame de rasoir, creuse des demi-cercles sous ses clavicules : tu veux mourir sous nos yeux ? tu veux mourir aux yeux de tous ? d’accord, d’accord, même devant ta petite sœur ? La jeune fille n’a plus du tout envie de mourir, mais elle dort les yeux écarquillés et, comme paralysée, ne parvient pas à réagir. Sa mère quitte la chambre. Je tente de me rassurer en remarquant que les plaies sont situées trop bas (sous les clavicules et non sous la mâchoire) pour la tuer, mais le sang continue de couler, dérivant vers le bord gauche des plaies, où il s’accumule jusqu’à ce que gonfle, pousse et éclose une énorme fleur de sang. Non, ce n’est pas une fleur. C’est son cœur, qui peu à peu se reforme à l’extérieur de sa place initiale.


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