
Leibniz, compagnon de route de mon père, de dos, s’éloignant, sa voix me frôle en passant et manque à m’atteindre.
De l’autre côté, Goethe, de face, s’approchant, un frère avec aux yeux le même bleu jaune troué de noir, le même émerveillement où perce et se répand la mélancolie. On s’est promenés une année entière dans la grisaille argentée des paysages allemands. Il m’a mi ennuyée, mi amusée de ses théories sur la société et sur l’art, fascinée par sa fantaisie, sa folie douce et inconsciente.
Le plus grand étonnement avec les classiques, c’est qu’ils n’ont rien de classique : ils sont étranges et dérangeants, neufs et transgressifs, souvent bien plus que nos contemporains.
Les affinités électives, Les souffrances du jeune Werther, Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister.
Des romans qu’avec ma vie itinérante je n’ai pas sous la main pour vous en donner quelques bribes, mais des extraits ne transmettraient pas leur charme qui tient à leur continuité labyrinthique, leur rythme virtuose, maintenu de page à page avec de savants alentissements et d’étourdissantes précipitations, leurs personnages qu’on aime pour les avoir longtemps fréquentés, mêlés à notre sommeil, notre café, notre manière d’aimer. Pour revenir aux mots, j’y trouve la grâce d’un équilibre fragile et pourtant jamais trahi : une langue harmonieuse, maîtrisée, mesurée, fluide et ciselée pour dire le naufrage et l’insensé.
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