
D’après Watson, pour être scientifique, la psychologie ne doit pas étudier l’âme, la conscience, l’esprit, la psyché, mais le comportement, seul donné objectif, en tant qu’extérieur, observable et mesurable. Les chercheurs de son école adoptent différentes échelles : la simple réactivité, les faits et gestes, la conduite générale, l’intentionnalité. Mais, dans tous les cas, le comportement est compris comme le résultat d’un conditionnement.
Celui-ci se définit comme une association entre un stimulus venu de l’environnement et une réponse donnée par l’organisme. Si la réponse est récompensée par l’environnement, le comportement est maintenu ; si elle est punie par l’environnement, le comportement est abandonné. Plus l’association est fréquente et récente entre stimulus, réponse et retour du stimulus, plus le comportement qu’elle détermine est renforcé et donc plus il est probable qu’il se présente et se répète. L’environnement détermine donc l’organisme et la psychologie cherche à connaître ce déterminisme afin de le maîtriser.
Les comportementalistes mènent leurs expériences sur des animaux en laboratoire (chiens, pigeons, rats). Elles s’apparentent souvent au dressage. Pour faire simple, si le chien reçoit une secousse électrique en appuyant sur un bouton, il n’appuiera plus, mais s’il reçoit de la nourriture, il appuiera de nouveau, ce qui le conditionne à appuyer ou non sur le bouton. Cependant, ces expériences deviennent de plus en plus élaborées. Tolman montre ainsi comment des rats prisonniers d’un labyrinthe établissent une carte mentale de leur environnement, même sans être motivés par une récompense ou une punition, menés par un besoin d’exploration.
La définition du conditionnement vient de l’école de psychologie russe, la réflexologie, dont le plus éminent représentant est Pavlov – j’y reviendrai. Mais Watson se démarque de ce courant en ce qu’il ne cherche pas le fondement physiologique des processus psychiques. Lui en reste au comportement, sans inférer l’âme, mais sans fouiller le corps non plus. Bien que critique de la psychanalyse, qu’il juge confuse et peu scientifique, il partage avec elle une certaine vision du sujet : celui-ci est le résultat de son passé, le produit de ses acquis, le fruit ses expériences, il est conditionné par ce qu’il a vécu, et de plus en plus avec le temps qui passe. L’inné, s’il existe, compte pour peu ou rien. L’hérédité ne joue pas, la génétique n’est pas un sujet.
L’une des phrases les plus connues de Watson : « Donnez-moi une douzaine d’enfants en bonne santé et de bonne constitution et un monde bien à moi pour les élever, et je vous garantis que si j’en prends un au hasard et que je le forme, j’en ferai un expert en n’importe quel domaine de mon choix – médecin, avocat, marchand, patron et même mendiant ou voleur, indépendamment de ses talents, de ses penchants, tendances, aptitudes, vocation ou origines raciales. » Ainsi, de n’importe qui on peut faire n’importe quoi avec le bon conditionnement de la part de la société, la famille, l’école, etc. ; et ce conditionnement doit être commencé le plus tôt possible, parce que s’il est facile de conditionner, il est difficile de déconditionner, et avec le temps les conditionnements sont de plus en plus nombreux et enracinés dans la personnalité.
La philosophie de Watson plaît à une Amérique progressiste, qui croit que la société et l’homme qui en est membre peuvent être infiniment modifiés. Elle donne de l’espoir : celui de s’affranchir des conditions de sa naissance, d’écrire notre propre destin au lieu qu’il nous soit assigné, de dépasser enfin les préjugés sur les peuples, les sexes, les classes qui auraient tel ou tel caractère inné. Tout est possible à qui le veut et cette volonté doit se manifester par des actions, leçon très américaine de liberté. Watson s’inscrit ainsi contre une psychologie qui pense que les compétences psychiques, telles que l’intelligence ou l’empathie, sont en grande partie innées, comme les compétences physiques, et que nous ne pouvons pas les changer ou seulement dans une certaine mesure.
Parce que le conditionnement a une telle importance et ce dès la naissance, lui et ses successeurs s’intéressent à l’éducation et à la politique. Sa théorie a des retombées dans tous les champs de la société, du management au marketing. En thérapie, elle amène à déconditionner et reconditionner le patient, en défaisant les précédentes associations et en en créant de nouvelles, par des mises en situation, des actions répétées, des imitations d’autrui, soit par une modification du comportement, sans recourir à la parole comme en psychanalyse, qui déconditionne par l’analyse du passé.
Si le comportementalisme permet de se libérer de sa condition et d’en élaborer une nouvelle, il donne aussi les outils de manipulation d’autrui. L’être humain est modifiable vers le meilleur comme vers le pire (et ce que nous considérons meilleur peut être jugé pire par d’autres). Ces outils s’avèrent donc dangereux. D’autre part, la réduction de la psyché au comportement a des côtés barbares, ainsi que les expériences en laboratoire. Cependant, le comportementalisme amène à juger une personne par ses actes et sa conduite au lieu de se fier à son discours (surtout à son discours sur elle-même, plus trompeur que les autres), et cette confrontation constante avec les faits oblige à l’honnêteté et à l’humilité.
Comme toutes les écoles de psychologie, ce mouvement éclaire une facette de l’être humain tout en laissant les autres dans l’ombre. Il rencontre d’incontestables réussites, notamment en thérapie, sa première mission, surtout contre les troubles de la peur (phobies, anxiété, panique), mais il reste limité. Son principal défaut est son approche généraliste. Il cherche les lois qui vaudraient pour tous les êtres humains et même tous les animaux, sans reconnaître la spécificité de l’humanité et celle de chacun. Ainsi, il ne parvient pas à rendre compte du langage, cette propriété humaine, ni à écouter la parole singulière où il s’incarne.
Votre commentaire