
Au début du XXe siècle, à peine née et pleine d’élan, espérant repenser la nature humaine, résoudre le divorce entre science et religion et décrire le destin de la société comme de l’individu, la psychologie entre en crise et se fragmente en différents courants. Les psychologues, souvent à l’origine philosophes ou médecins, désirent former une discipline unifiée à l’image des sciences de la nature : fondée sur des principes théoriques partagés et validée par une méthode expérimentale rigoureuse.
Mais de nombreux problèmes de la psychologie ne peuvent pas être résolus avec la méthode expérimentale : certes, la perception peut être observée et mesurée en laboratoire, mais que dire de la pensée et de l’émotion ? Et faut-il les aborder à partir de l’ensemble, de la majorité, de la moyenne et de l’universel ou à partir de l’individu, de la singularité, de la différence de chacun et de la diversité des cultures ? Techniquement, faut-il préférer le cas clinique ou la statistique ? Sont-ils réconciliables ? Et par où commencer : depuis l’enfant, l’adulte ou l’animal ? Et dans le dernier cas, quel animal ? En outre, si la recherche ne part pas des mêmes présupposés et n’apporte pas les mêmes résultats, elle ne proposera pas les mêmes applications, à l’école, au travail, en politique et dans le champ de la santé mentale.
Le plus fidèle continuateur de Wundt est l’un de ses élèves, Titchener, qui migre aux États-Unis et y exerce une grande influence. Il poursuit le projet de son maître, celui d’une psychologie élémentaire, c’est-à-dire d’une psychologie qui identifierait les éléments de base du psychisme. La théorie de Titchener est qualifiée de structuraliste en ce qu’il cherche à décrire la structure de l’esprit, ses contenus et les lois de leur combinaison, comme si l’esprit était un puzzle dont le psychologue devrait retrouver et recomposer les morceaux. D’après lui, les éléments de base de la perception sont les sensations, ceux de la pensée sont les images mentales et ceux de l’émotion sont les états affectifs. Ces éléments sont caractérisés par quatre attributs : qualité, intensité, durée, clarté (sauf dans le cas des états affectifs qui se caractérisent par leur manque de clarté).
Le chercheur a pour méthode l’introspection, seule voie d’accès à l’intériorité, mais cette introspection doit suivre des règles strictes pour être scientifique : le phénomène psychique doit être décomposé en éléments de base, à leur tour évalués selon leurs attributs, sans qu’il leur soit associé un sens ou une valeur : ils doivent rester, autant que possible, des faits. Par exemple, face à une table, nous disons que nous voyons une table, tandis que le chercheur structuraliste dira qu’il voit un angle droit, une superposition de brun sur du blanc, une lumière de faible intensité, etc. sans inférer la table, en se concentrant sur ses sensations. D’ailleurs, cette école de pensée se spécialise dans la perception qui se prête plus volontiers à ce type d’analyse.
Le fonctionnalisme est la première psychologie proprement américaine, émancipée de l’influence prussienne. Son fondateur, William James, le frère d’Henry, rencontre un succès immense avec son livre de synthèse Principes de psychologie, qui fait connaître les avancées de la psychologie à l’ensemble de la société. Il intègre la théorie de l’évolution à la psychologie en montrant que le rôle de la conscience est l’adaptation de l’organisme à l’environnement. Tandis que Titchener cherche à connaître la nature des processus psychiques (ce qu’ils sont), James voudrait savoir leur fonction (à quoi ils servent). La question n’est plus ce qu’est l’amour ou le raisonnement en décomposant l’un et l’autre en éléments et en les décrivant par attributs, mais à quoi ils servent, pourquoi ils sont apparus et ont subsisté au cours de notre évolution, en quoi ils sont utiles à l’adaptation (c’est-à-dire à la survie et à la reproduction). D’autre part, Titchener s’occupe de l’esprit formé, celui de l’homme adulte américain, découplé du corps et considéré comme un universel, alors que James s’intéresse à la mutation de la psyché, de l’animal à l’homme et de l’enfant à l’adulte et tout au long de la vie à travers nos apprentissages successifs.
En effet, le fonctionnalisme s’intéresse en particulier à l’apprentissage, l’un des processus d’adaptation les plus importants : comment nous résolvons les problèmes et devenons de plus en plus habiles dans la résolution au point qu’elle se transforme en habitude, une sorte de seconde nature. Comme Titchener, James favorise l’introspection, mais il décrit la conscience comme un flux complexe et ininterrompu dont le langage ne peut entièrement rendre compte et il préfère l’observation en contexte naturel à l’expérience en laboratoire. Moins dogmatique, mais aussi moins rigoureuse que le structuralisme, son école puise dans toutes les sources du savoir, de l’art et de la littérature à la philosophie et à l’histoire et son manque de systématicité et d’expérimentation lui a été reproché. Elle cherche aussi à faire sortir la psychologie de l’université, à lui trouver des applications dans la vie de tous les jours.
James approche la psyché dans son ensemble, comme une forme d’intentionnalité, position à l’opposé de la réduction élémentaire de Wundt et Titchener et proche de la philosophie de Brentano en Autriche, qui donnera lieu à la phénoménologie et à la Gestalt. Il est fortement influencé par le pragmatisme des philosophes qu’il fréquente (Mead, Moore et Dewey) et influencera à son tour Watson (le fondateur du comportementalisme) et Piaget (l’une des origines du cognitivisme). La psychologie évolutionniste peut être considérée comme la version contemporaine de sa pensée : fondée sur la théorie de l’évolution et étayée par la biologie.
Le comportementalisme reprend la méthode du structuralisme (description contre spéculation, réduction des phénomènes en éléments et attributs, association comme loi de combinaison des éléments) et la théorie du fonctionnalisme (l’être humain est un organisme en interaction avec un environnement, cherchant à s’y adapter pour persister et se multiplier). Mais il se fonde sur une critique radicale de ces deux écoles, en refusant leur présupposé commun : que l’homme a une conscience et que l’introspection permet d’y accéder. Watson avance que la conscience, si elle existe, ne peut pas être l’objet d’une science, en ce qu’elle n’est pas observable ni mesurable. Seul le comportement peut occuper cette place, en tant que donné objectif, et la psychologie consiste, d’après lui, à décrire, expliquer, prédire et contrôler le comportement.
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