
C’est par le corps qu’on attrape l’âme. En s’appuyant sur la physiologie et la biologie, la psychologie se sépare de la philosophie. Plus précisément, elle devient une philosophie appliquée : ses théories de l’esprit sont soumises à l’épreuve des faits. L’étude des sensations ouvre à celle des sentiments, des pensées et de la personnalité. La perception est la porte d’entrée dans l’intériorité.
Bell et Magendie montrent que chaque nerf prend racine dans la moelle épinière et se départage en deux branches, une voie sensorielle et une voie motrice, indépendantes l’une de l’autre : on peut sectionner la voie motrice sans altérer la voie sensorielle et vice versa. On étudie toujours plus en détail l’arc réflexe : comment le corps fonctionne sans intervention du cerveau, par réponse automatique entre sensorialité et motricité. Müller découvre que la qualité d’une sensation ne dépend pas de la qualité de la stimulation, mais du type de nerf stimulé. Une pression sur le nerf optique produit une sensation visuelle et non tactile : une lumière vive. Il distingue ainsi entre perception et stimulation, dans les termes de la philosophie entre pour soi et en soi.
Helmholtz, son élève, complète sa découverte, en montrant que la nature de notre perception dépend de la nature de nos récepteurs : cônes et bâtonnets déterminent notre vision comme les cils de l’oreille interne déterminent notre ouïe. Il essaye de mesurer la vitesse de l’impulsion nerveuse et, s’il se trompe dans le résultat, il montre du moins qu’elle est mesurable, tandis que Donders chronomètre nos opérations mentales, plus précisément le temps de réaction à un stimulus en fonction de la difficulté de la réponse à donner. Pour la première fois, on mesure ce qui semblait échapper à toute mesure : la vie (l’impulsion nerveuse le long des membres) et l’esprit (le temps nécessaire pour penser).
Helmholtz souligne enfin, dans la lignée des empiristes anglais, que notre perception est façonnée par notre expérience : nous voyons un objet toujours de la même couleur, de la même forme et de la même taille même si la lumière, la distance et l’angle changent, parce que nous corrigeons notre perception à partir de notre expérience du monde en général et de cet objet en particulier. La perception procède ainsi de manière inconsciente, par associations et inférences, afin de créer un univers stable, complet et unifié à partir d’une perception instable, fragmentaire et multiple.
En même temps, de Gall à Broca et Wernicke, on cherche à localiser les facultés dans le cerveau. Fechner étudie les valeurs de seuil et de discrimination de la perception – par exemple, à partir de combien de grammes percevons-nous un poids ? Et combien faut-il en ajouter pour que nous sentions ce poids augmenter ? Il formalise ainsi la méthode expérimentale en psychologie : le chercheur regarde dans quelle mesure la variable dépendante (ici la perception) varie en fonction de la variable indépendante (la stimulation), il cherche à établir les relations de corrélation voire de causalité entre les phénomènes du soi et les phénomènes du monde et entre les phénomènes psychiques et les phénomènes physiques.
Par sa théorie de l’évolution, Darwin invite à comprendre l’humain par l’animal. Il montre que les caractères psychiques de l’être humain sont le résultat de la sélection naturelle, par l’environnement et par le partenaire, tout comme les caractères physiques. Sa pensée, ses passions, sa personnalité s’expliquent par l’évolution : un effort constant d’adaptation à ce qui l’entoure, la recherche d’une stratégie optimale de survie et de reproduction.
En 1879, Wundt, élève de Helmholtz, fonde le premier laboratoire de psychologie expérimentale à l’université de Leipzig. C’est le point d’aboutissement de cette longue maturation. Viennent s’y former des chercheurs de toute l’Europe et de l’Amérique du Nord, qui donneront naissance aux écoles et courants du siècle suivant.
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