En Italie, parler du temps revient à parler du vent. Habitant le sud-ouest de la Sardaigne, ma belle-mère se plaint du Scirocco ou du Libeccio, les vents étouffants du désert, qui appesantissent la chaleur déjà insoutenable de l’été, tandis qu’elle se réjouit de la fougue et de la fraîcheur du Maestrale, comme les anciens marins qui attendaient ce vent de l’Atlantique pour prendre la route de l’Orient. À Trieste, c’est la Bora qui est sur toutes les lèvres, elle qui récure le ciel, au crin de son gel, le faisant resplendir d’un bleu aussi tranchant que son nom : azzurro.
La rose des vents a été inventée en Méditerranée, mais la Méditerranée comprend plus d’une mer : l’Adriatique entre l’Italie et les Balkans, la Tyrrhénienne entre l’Italie et ses îles, plus à l’ouest les mers de Corse, de Sardaigne, des Baléares, entre le Maroc et l’Espagne, la mer d’Alboran, et si l’on revient vers l’est, les mers d’Ionie, d’Égée et de Marmara, le bassin Levantin. La rose des vents doit être placée dans la plus grande d’entre elles, celle d’Ionie, pour comprendre la désignation des vents.
Au nord la Tramontana (ou Borea) descendant des montagnes qui enserrent une mer recluse, au nord-est le Grecale soufflant depuis la Grèce continentale, à l’est le Levante où se lève le soleil, au sud-est le Scirocco, au sud l’Austro (ou encore Ostro, Mezzogiorno, Noto) et au sud-ouest le Libeccio (ou Garbino), tous venus d’Afrique, apportant tempêtes et torpeur, pluies et sables, à l’ouest le Ponente, où se couche le soleil, au nord-ouest le Maestrale, venu de l’océan, avec maîtrise et majesté. 8 vents, qui divisés par 2 pour plus de précision deviennent 16, qui encore divisés par 2 pour toujours plus de précision deviennent 32, les 32 subdivisions de la rose actuelle.
Parmi ces vents secondaires se trouve la Bora. Elle se situe entre le Grecale et le Levante (orientation est-nord-est, ou ENE). Prenant de la vitesse dans les plaines d’Europe centrale, canalisée et accélérée par les gorges des Alpes, elle se précipite dans la mer à peine affranchie des montagnes, de toute sa force et de tous les côtés, par tourbillons imprévisibles, brillante et glacée.
La première rose des vents apparaît sur un atlas catalan (1375), elle se répand à la Renaissance dans sa version italienne. Le fer de lance qui désigne le nord devient une fleur de lys. L’est est illustré par une croix, en référence au Christ, en direction de Bethléem. En y superposant l’aiguille magnétique inventée par la Chine, nous trouvons la boussole que nous connaissons. À l’axe est-ouest qui structurait le monde des Anciens se substitue ainsi celui nord-sud qui structure le nôtre. Ce n’est plus l’est, d’où viennent le soleil, la lune et les étoiles, qui détermine notre orientation, mais le nord avec les sept étoiles (septentrion) de la Grande Ourse et l’aimantation de son pôle. L’Italie, par la position transversale de sa péninsule, s’organise autour d’un axe légèrement déplacé : du nord-ouest au sud-est, entre Maestrale et Scirocco.
Anemos, anima, psyché : le vent est souffle, air, vie. Il vient de la rotation de la Terre sur elle-même et autour du soleil, de la différence de pression entre pôles et équateur. Il fait respirer les lacs et les mers, soutient la migration des oiseaux et des insectes, participe à la dispersion du pollen et des graines, transforme la rivière en nuage et le nuage en rivière, façonne les roches et les arbres, gonfle les feux ou les essouffle. Nature la plus brute et élémentaire, que nous partageons avec les autres planètes, aussi différents que soient nos climats. Les plus terribles rafales font rage sur Neptune et Saturne.
Le vent embrasse le monde et par le vent nous embrassons le monde. Il nous apporte tous les pays, leur odeur, leur saveur, leur couleur. Il est le premier messager, incapable de dissimuler, la figure primitive de l’ange, dont les révélations nous font violence, l’inconnu que le destin place sur notre chemin, celui qui brise notre tranquillité et nous oblige à l’aventure. Rien d’aimable dans son apparence et pourtant on apprend à l’aimer. Très vite, on ne sait plus que le suivre.
Il tourne en Méditerranée au point de se résumer dans la corolle d’une rose. Mer cyclique, mer des saisons, où les mois ont plus de sens et d’importance que les années, où aujourd’hui est encore et toujours le temps du mythe.

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