Alejandra, on se connaît trop pour que je sache te présenter. Tu auras toujours une chambre dans mon cœur, personne d’autre n’a le droit d’y entrer, tu peux y revenir quand tu le souhaites. Tes poèmes recouvrent les murs. Il y a à la fenêtre la nuit et le lilas. Aucun jour ne viendra te chercher là. Celle que j’étais à vingt ans y est morte avec toi.
*
Enfance
Heure où l’herbe pousse
dans la mémoire du cheval.
Le vent prononce des discours ingénus
en l’honneur des lilas,
et quelqu’un entre dans la mort
les yeux ouverts
comme Alice au pays du déjà vu.
*
Fête
J’ai déployé mon état d’orpheline
sur la table, comme une carte.
J’ai dessiné l’itinéraire
vers mon pays au vent.
Ceux qui arrivent ne me trouvent pas.
Ceux que j’attends n’existent pas.
Et j’ai bu des liqueurs furieuses
pour transmuer les visages
en un ange, en verres vides.
*
Fille du vent
Ils sont venus.
Ils envahissent le sang.
Ils sentent la plume,
le manque,
les pleurs.
Mais toi tu alimentes la peur et la solitude
comme deux petits animaux perdus
dans le désert.
Ils sont venus
incendier l’âge du rêve.
Un adieu, voilà ta vie.
Mais toi tu t’étreins
comme le serpent fou de mouvement
qui seul se trouve lui-même
parce qu’il n’y a personne.
Tu pleures sous tes pleurs,
tu ouvres le coffre de tes désirs
et tu es plus riche que la nuit.
Mais il fait tant de solitude
que les mots se suicident.
*
Cendres
Nous avons dit des paroles,
des paroles pour réveiller les morts,
des paroles pour faire un feu,
des paroles pour pouvoir nous asseoir
et sourire.
Nous avons créé le sermon
de l’oiseau et de la mer,
le sermon de l’eau,
le sermon de l’amour.
Nous nous sommes agenouillés
et avons adoré de longues phrases
comme le soupir de l’étoile,
des phrases comme des vagues
des phrases comme des ailes.
Nous avons inventé de nouveaux noms
pour le vin et pour le rire,
pour les regards et leurs terribles
chemins.
Moi à présent je suis seule
– comme l’avare délirante
sur sa montagne d’or –
et je lance des paroles vers le ciel
mais je suis seule
et je ne peux dire à mon aimé
ces paroles qui me font vivre.
*
Crée un chant de lépreuse
entre moi et ce que je crois être
*
Comment ne pas me suicider face à un miroir
et disparaître pour réapparaître dans la mer
où un grand bateau m’attendrait
toutes lumières allumées ?
Comment ne pas m’extraire les veines
et en faire une échelle
pour fuir de l’autre côté de la nuit ?
*
Tu as fait de ma vie un conte pour enfants
dans lequel naufrages et morts
sont prétextes à des cérémonies adorables.
*
J’en sais peu sur la nuit
mais la nuit semble en savoir sur moi,
et plus encore, elle m’assiste comme si elle m’aimait,
elle me couvre la conscience de ses étoiles.
*
Poèmes et vers d’Alejandra Pizarnik tirés de la traduction de Jacques Ancet aux éditions Ypsilon.

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