Récits de rêves
Au couvent, la salle d’étude donne sur le cloître. La porte entrouverte laisse entrevoir des pas silencieux sous les arcades. Un courant d’air disperse dans la classe les arômes du jardin. Les novices attendent à leur pupitre, à la chaire va et vient le professeur. Descartes, rien de moins. Il annonce la leçon du jour : qu’est-ce que la conscience ? Une élève proteste : mais Dieu existe. Il répond : je n’ai pas dit qu’il n’existait pas, j’ai demandé : qu’est-ce que la conscience ? Elles baissent les yeux, il tente de les rassurer : il n’y a rien de mal à penser. Une élève ferme la porte, de crainte qu’on les entende. L’écho entre les pierres porte loin la parole. Une autre s’agenouille sur le pavement nu et se relève les bras chargés d’un champ de boutons d’or. C’est Marie-Madeleine. On la reconnaît à ses cheveux de feu. Descartes lui sourit. Elle n’a pas peur. Le soleil qu’elle embrasse lui dore le menton.
Nuit noire. Une jeune fille erre sur la grève. Le vent fouette son visage de ses cheveux, ses jambes de sa robe. Un jeune homme s’enfonce dans la mer. Les vagues battent contre ses cuisses, son torse. La jeune fille voit la mort approcher.
Non, je ne veux pas, lui dit-elle.
Que t’importe, tu es morte déjà, répond la mort.
Mais lui, je ne veux pas.
La mort lui donne un verre rempli à demi d’une substance grumeleuse, rouge fraise.
Si tu parviens à le retenir entre tes mains, je n’emporterai pas l’homme avec moi.
Elle plonge aussitôt, rejoint le jeune homme d’une traite, l’embrasse à l’étouffer et essaye de le tirer vers le fond. D’un même mouvement, le verre tente de se retirer des mains de la jeune fille, mais celle-ci le tient fort, tout contre elle, recroquevillée autour de lui. Au bout d’un moment, impossible à mesurer, la pression cesse. Sa résistance s’exerçant soudain à vide, la jeune fille roule sur elle-même. Elle dénoue ses membres et se débarrasse du sable. La mort est partie, mais pas de traces du jeune homme. Elle ramasse le verre, touche la substance étrange, la goûte du bout des doigts, en lèche jusqu’à la dernière trace. Le jeune homme est là maintenant, à l’intérieur.
Votre commentaire