Me voici de l’autre côté du miroir. Si vous me lisez, vous l’avez sans doute traversé à votre tour et il est difficile d’atteindre ceux qui s’y trouvent encore. Je précise ici quelques points pour parvenir à leur tendre la main, à les extraire de cette dystopie et qu’ensemble nous y mettions fin.
Rien de plus efficace qu’un fait, et j’en ai déjà fourni à foison. Par exemple, sachant que plus de 85 % des enfants dysphoriques ne le sont plus après la traversée de l’adolescence ou de la première jeunesse (au-delà de 25 ans) et que la plupart se découvrent simplement homosexuels avec l’arrivée de la puberté, tandis que les autres souffrent de traumas ou d’autres troubles que la transition ne résoudra pas, comment justifier la transition des enfants, l’invention de l’enfant transgenre, si ce n’est pour le profit d’une industrie et le blanchissement d’un activisme orienté à de toutes autres fins ? Dès 2 ans à présent et sous les applaudissements. Ou bien, parlons des bloqueurs de puberté – mais qui a eu cette idée ? Ils entravent le développement des os et du cerveau, réduisent la fertilité et la fonctionnalité des organes sexuels, déclenchent la ménopause chez des jeunes filles de 15 ans. Fallait-il en faire l’expérience pour le savoir ? Il est évident qu’on ne peut pas arrêter ou ralentir notre croissance sans de graves conséquences.
Pour éviter des disputes stériles, il faut aussi situer le débat.
Il ne nous positionne pas pour ou contre les trans, mais contre une idéologie qui abolit la différence des sexes en avançant que le corps et l’esprit sont dissociés. Je défends la libre expression du genre, donc de la féminité et de la virilité, chez les hommes comme chez les femmes, et si certains vont jusqu’à la transition à l’âge adulte, que je définis ici par l’intervention chirurgicale et la prise d’hormones de l’autre sexe, je n’ai rien contre, quelle qu’en soit la raison, paraphilie ou dysphorie, et je ne souhaite ni l’interdire ni la stigmatiser. Cependant, le genre ne change pas le sexe. L’idée d’un corps dissocié de son esprit suppose que nous ne sommes pas notre corps, mais que nous le possédons et que notre esprit peut en disposer comme d’un objet. Croyance métaphysique à laquelle je n’adhère pas. S’il existe des raisons à la sensation d’être dans le mauvais corps, cette sensation ne correspond pas à la réalité : notre corps est toujours le bon, il est notre seule condition, nous sommes ce qu’il fait de nous et non ce que nous faisons de lui. En outre, lorsque nous effaçons la différence des sexes et affirmons que l’identité dépend d’une foi individuelle, invérifiable par la communauté, toute la société est concernée : elle ne se fonde plus sur la vérité, mais sur une croyance, qu’elle prétend imposer à tous.
Le débat n’oppose pas non plus les féministes et les trans, mais plutôt deux types de féminismes (féminisme queer contre féminisme radical). Les trans n’adhèrent pas tous à l’idéologie du genre et les féministes, pour beaucoup, n’en sont plus, puisqu’elles ont oublié la définition de la femme. Seules les féministes radicales méritent leur nom et lorsque je me réfère au féminisme, c’est elles que je désigne. Ce mouvement déclare l’inviolabilité du corps de la femme, donc l’interdiction de sa marchandisation par la prostitution, la pornographie, la vente de ses organes ou la gestation pour autrui. En cela, il représente l’exact opposé de l’idéologie du genre qui, en dissociant l’esprit du corps, offre celui-ci à l’exploitation, par l’industrie médicale (pharmaceutique et chirurgicale), mais aussi par le trafic du sexe. En effet, les militants queer qui promeuvent cette idéologie souhaitent aussi décriminaliser intégralement la prostitution, alors que celle-ci concerne presque exclusivement des enfants et des femmes qui n’ont pas le choix. Même lorsqu’elles ne sont pas réduites en esclavage, elles le font le plus souvent par nécessité, contraintes par la misère. Presque toutes feraient autre chose si elles le pouvaient. Les chiffres varient selon les régions considérées et les manières de recueillir les données, mais ils tournent autour de 90, 95, 98 %. Comment militer pour une dépénalisation intégrale dans cette situation ? D’autant que la prostitution augmente la violence générale envers les femmes, en accoutumant à leur maltraitance. Il ne s’agit pas ici de déconsidérer les prostituées, mais au contraire de les prendre en considération : ce sont les survivantes de la traite qui luttent pour son abolition. Campagnes et manifestations montrent une collusion entre les activismes pro-prostitution et transgenre. Les mêmes militants accusent les féministes de TERF (trans exclusionary radical feminist) et de SWERF (sex workers exclusionary radical feminist), répètent en boucle transwomen are women ou sex work is work – des personnes dotées d’une grande capacité d’élaboration mentale, comme on le voit. Aux États-Unis, au Canada, en Europe, des hommes identifiés femmes œuvrent à la dépénalisation et noyautent les organisations féministes.
Sans entrer dans ces analyses, il est très facile de discréditer l’idéologie du genre : il suffit de montrer ses militants, leur violence, leurs sophismes, ou de lire ses ouvrages fondateurs, ceux de la théorie queer.
Par exemple, l’idée, inspirée du postmodernisme, que la différence des sexes est une construction sociale occidentale. Mais bien sûr, comment ne l’avions-nous pas remarqué avant ? Les Occidentaux ont inventé la différence des sexes. C’est une oppression de plus que les Européens ont imposée aux peuples colonisés qui, eux, avaient des dizaines de sexes ; et tous se sont atrophiés et réduits au pénis et à la vulve. Comment savoir, comment imaginer tous ces organes que nous avons perdus, ces possibilités incomparables de combinaison sexuelle. Nous sommes de pauvres binaires hétéronormatifs et nous avons imposé notre pauvreté sexuée et sexuelle au monde. D’ailleurs, chaque enfant invente son sexe. Chaque sexe est unique, irreproductible ; et la reproduction n’a rien à voir avec le sexe. Quoi, le mâle et la femelle ? Vous êtes un fondamentaliste chrétien.
Ces idéologues se réclament souvent de cultures qui ont établi un troisième sexe, ou un entre deux sexes, notamment la caste des Hijras en Inde ou le statut de double esprit chez les Amérindiens. Comme avec l’intersexualité, ils s’approprient ainsi des réalités qu’ils ignorent allègrement et les concernés ne manquent pas de protester – mais qui les entend ? Par ces catégories, les cultures intègrent, tout en la tenant à l’écart, la divergence entre sexe et genre, plus précisément l’homosexualité masculine ou bien l’homme féminin – de la femme masculine ou de l’homosexualité féminine, il n’est pas question. Cette catégorisation révèle la rigidité des normes genrées plutôt que leur souplesse ou leur hybridité. Quant à l’invention occidentale, ici, c’est bien le transgenrisme, par la technologie médicale qui l’autorise et la culture d’égalité voire d’effacement de la différence des sexes qui le rend concevable : en apparence, passer d’homme à femme ne change pas grand-chose aujourd’hui à notre vie.
Tous leurs arguments, qu’ils concernent la nature ou la culture, sont fallacieux. On ne peut les croire que par ignorance. Ils profitent de l’incertitude où nous sommes sur l’interaction entre genre et sexe, autrement dit sur le rôle du sexe dans notre psychologie, mais ils n’apportent aucune solution. Leur discours consiste à nous désorienter constamment en manipulant l’information, en jouant sur les termes, afin de nous faire douter de notre mémoire, notre perception, notre raison. Une manière simple de dévoiler la supercherie : demandez-leur la définition de la femme ou de décrire ce fameux ressenti d’être femme, il s’agira toujours de la féminité réduite à ses pires stéréotypes, ou d’une tautologie comme être femme, c’est se sentir femme. Breaking News : les femmes ne se sentent pas femmes, elles le sont. La menstruation et la gestation ne dépendent pas de notre bon plaisir, de notre humeur du moment, de notre plus ou moins grande identification à la femme : elles sont notre condition. L’idée d’une femme cis, qui se sentirait femme autant qu’elle l’est, est une mythologie. Ce terme me concerne autant que celui de païen lancé par un chrétien. Il ne révèle que la croyance de mon vis-à-vis. Personnellement, je ne suis pas plus genrée au féminin qu’au masculin, je suis comme beaucoup un mélange, ce qui ne me rend pas non binaire ou quelque autre catégorie imaginaire, parce que la réalité se fout de mon ressenti et je reste femme quoi que je ressente. J’ai envie de dire à toutes les femmes : rasons-nous la tête et mettons des hoodies, sans bijoux ni maquillage, pour que les gens comprennent enfin qu’une femme est une femme, qu’importe ce qui l’identifie. On dira que j’efface l’existence des trans, que je dénie leur expérience. Je ne le crois pas : tout le sens d’être trans, c’est de transitionner, donc de passer de l’un à l’autre genre. Et même si c’est le cas, ce n’est pas de la violence. Si je m’effaçais dès que je lis une expérience ou une pensée en contradiction avec la mienne, cela ferait longtemps que je n’existerais plus, gommée de la surface de la terre par toutes les lettres déchiffrées.
Enfin, le débat n’oppose pas les hommes et les femmes. Je suis lasse de cette manière de considérer les hommes comme la source de tous nos maux. Je n’ai pas plus souffert des hommes que des femmes dans ma vie ; et ils ont leurs fardeaux : leurs taux de suicide, d’autisme, d’incarcération, d’absence de domicile, de décrochage ou d’expulsion scolaires, d’excès de drogues ou d’alcool sont souvent bien plus hauts que ceux des femmes. Il faudrait entrer dans le détail de ces données qui ne sont pas aussi transparentes qu’elles paraissent, mais la vie ne leur est pas si douce. Beaucoup ne veulent pas plus du patriarcat que nous. Ils l’ont inventé, mais voilà, ils se sont trompés et ils ont besoin de nous pour ne pas persévérer dans l’erreur. N’oublions pas non plus que la principale instigatrice du transgenrisme est une femme, féministe qui plus est, Judith Butler, et que d’innombrables féministes l’ont célébré comme une avancée. Regardons leur rage et leur rejet irrationnels face aux féministes radicales. Soyons attentives à nos propres dérives, cherchons-en les raisons. Tout manque de mixité semble nous mener à la démesure, quel que soit le sexe. L’idéologie du genre adopte les méthodes féministes : la manipulation du langage à des fins politiques (les graphies womyn et womxn, afin d’éviter le mot man dans woman, ont précédé la réécriture de notre définition), le droit de parole réservé exclusivement aux concernés, interdisant le libre débat d’idées de la communauté, le primat du ressenti et du vécu sur l’élaboration conceptuelle rigoureuse, l’intolérance à la dissension qui équivaudrait à une violence. Donner la responsabilité de nos torts aux hommes, c’est encore et toujours nous traiter en mineures. Les féministes et les femmes identifiées hommes qui défendent cette idéologie sont aussi responsables que les hommes derrière ce mouvement : la maltraitance des enfants et des jeunes, la mise en danger des femmes et des filles pèsent autant sur leur conscience. Elles sont leurs égales, y compris dans la faute.
Il ne faut non plus écarter la question du genre. Les féministes radicales se contredisent et font preuve d’une dissonance cognitive égale aux idéologues du genre lorsqu’elles affirment d’un côté que le genre n’est qu’une construction sociale et de l’autre que tout est la faute des hommes. Si les mâles sont si méchants par privilège mâle, c’est-à-dire par leur éducation et la société où ils grandissent, alors pourquoi leur en vouloir autant ? Une éducation, ça se corrige. Une société, ça se réforme. Ils ne sont pas responsables de ce qu’on a fait d’eux. En vérité, les mâles agissent en tant que tels sans méchanceté et pour des raisons bien plus enracinées que la culture où ils sont nés. D’autre part, selon ce raisonnement, les enfants élevés selon les normes de l’autre sexe adopteraient réellement, par leur psychologie, l’autre sexe, ce qui confirme paradoxalement la théorie transgenre. Séparer entièrement le genre du sexe, c’est encore dissocier le corps de l’esprit. La différence de nos corps ne peut manquer d’impacter nos esprits, et la neurologie ne cesse de le confirmer, dernièrement concernant la maturité et le vieillissement – les femmes seraient matures plus tôt et conscientes plus tard, un décalage de quelques années seulement. Défendre la libre expression du genre ne revient pas à dire qu’il n’a rien à voir avec le sexe.
La différence psychologique entre hommes et femmes reste une question irrésolue. Nous ne savons pas dans quelle mesure elle tient de l’acquis ou de l’inné, de la construction culturelle et du donné naturel et toute l’ampleur de la variation individuelle. Nous courrons aussi le danger de transformer des divergences naturelles en hiérarchies culturelles. Mais il est évident qu’elle existe, puisqu’une différence physique si déterminante ne peut manquer d’avoir une incidence psychologique. Si le féminisme écarte la question de la différence, comme si elle ne se posait pas, la tradition ou le transgenrisme semblent les seules réponses et ils fournissent la même réponse : une partition sexiste, qui formate les hommes comme les femmes, la première alignant le genre sur le sexe et le second le sexe sur le genre. Il est normal que cette différence nous travaille, surtout à l’adolescence, quand se cherche l’identité et se vit le premier amour. Laissons un espace pour en discuter, quitte à tâtonner. C’est aussi ce que nous rappelle cette crise.
Si, alors que nous avons clarifié notre position et exposé les faits, notre interlocuteur ne remet pas en question l’idéologie du genre, c’est à lui de se justifier et nous pouvons nous interroger sur son honnêteté – intellectuelle, mais pas que. Je reconnais que le contexte n’aide pas. Les médias nous endoctrinent constamment à ce sujet. De plus, bien des gens croient encore au genre au sens le plus étroit : que la féminité fait la femme, que la virilité fait l’homme. Mais si la croyance et l’endoctrinement résistent à l’épreuve des faits et du raisonnement, comment le comprendre ? Peut-être la déréalisation de notre société où l’on ne connaît plus la matière des objets qui nous entourent et que nous n’avons pas façonnés, la source des produits que nous consommons et que nous n’avons pas recueillis, où la sexualité même devient virtuelle. Mais ne s’agit-il pas aussi d’un manque de moralité ? Quand on préfère sa croyance personnelle ou la croyance dominante de la société à la vérité, tout en sachant le mal qu’elles infligent, c’est dans le premier cas du narcissisme (préférer sa manière de concevoir le monde au monde lui-même) et dans le second de la lâcheté (préférer la manière de la foule pour ne pas se retrouver isolé et conspué par elle). Et si je ne prête pas d’importance particulière à mon avis et en change volontiers, je n’ai plus de patience pour ce type de faiblesse.
Un recueil de sources (malheureusement, toutes en anglais) pour initier à la critique du genre : So, you’ve noticed that there’s something wrong with gender ideology…
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