Grande et Petite et Les petites pommes remportent l’agenda de mars. Souhaitons-leur d’interminables aventures et de se rencontrer un jour sous l’ombre d’un dragon.
L’occasion de vous inviter à lire les Carnets paresseux, l’un de mes blogs favoris, le premier ou presque qui m’ait suivie, un nœud essentiel de la toile que je tisse ici, dans la ligne qui se ramifie autour de Perrault et l’OuLiPo. Si je participe à l’agenda, c’est bien pour lui ! Mais tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute, m’a-t-il reproché l’autre jour ; et le renard que je suis rongera donc sa queue à défaut d’un fromage.
Passons à l’agenda d’avril, qui échoit, avec une large avance de voix, au blog Des arts et des mots de Jean-Pierre Lacombe. S’il se désiste, c’est retour chez Carnets ; mais je crois qu’il n’aura aucun mal à trouver une œuvre ou une citation, voire les deux, comme thème du prochain atelier, son site regorge de ces trésors.
Lisant en ce moment Et la lumière fut de Jacques Lusseyran, j’y trouve une nouvelle illustration du slogan que j’avais proposé : « nous sommes le courage l’une de l’autre ».
Je suis chez moi chez lui. On partage le même langage, les mêmes valeurs, on a grandi habités par la même expérience intérieure, nourris par la même culture mariant raison et romantisme. On est si accordés qu’il me réaccorde, parce que je me désaccorde à force de vouloir m’accorder aux autres, leur accorder trop de crédit, et lui m’arrête tout net : non, il n’y a aucun crédit à accorder, reste aussi entière que Dieu t’a faite, il me redonne mon intégrité, avec en surplus sa droiture.
Devenu aveugle dans l’enfance, engagé dans la résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, il ne cesse de rappeler que le je n’existe pas sans le nous :
« Il n’y a pas un souvenir important de ma vie auquel un autre être ne soit mêlé. Vais-je m’en plaindre ?
Il est dans l’ordre des choses qu’un aveugle ne puisse jamais rien faire seul jusqu’au bout. Il vient toujours un moment dans ses jeux comme dans son travail, où il a besoin de la main, de l’épaule, des yeux ou de la voix d’un autre. C’est un fait. Mais est-ce, pour lui, mauvaise ou bonne fortune ?
J’entends des aveugles dire que cette dépendance est leur plus grande misère, qu’elle fait d’eux des parents pauvres, des suiveurs. Il en est même qui regardent cette dépendance comme une punition supplémentaire – et naturellement injuste –, qui l’appellent une malédiction. Laissez-moi dire qu’ils ont deux fois tort.
Ils ont tort pour eux-mêmes, car ils se torturent sans cause. Ils ont tort devant la vie, parce que ce sont eux qui font de cette dépendance un malheur.
Hé quoi ! Pourraient-ils désigner, ces aveugles tristes, un seul homme au monde – eût-il ses yeux – qui ne dépendît pas d’un autre ? Qui ne fût pas dans l’attente de quelqu’un ? En soumission par rapport à un être meilleur, plus fort, ou seulement absent ? Qui ne fût pas plus grand ou plus petit, c’est-à-dire, dans l’un et l’autre cas, étroitement lié à tous les autres ? Vraiment, de quelque matière que soit fait le lien – qu’il soit de haine ou d’amour, d’envie, de pouvoir, de faiblesse ou de cécité –, ce lien, c’est notre condition. Aussi le plus simple est-il de l’aimer.
J’ai toujours aimé qu’un autre fût près de moi. Cela va sans dire : je m’en suis irrité quelquefois aussi (il est des intimités que je supporte bien mal). Mais, au total, je suis redevable à la cécité de m’avoir forcé au corps à corps avec mes semblables, et d’avoir fait de lui bien plus souvent un échange de force et de joie qu’un chagrin. Les chagrins que j’ai eus, presque toujours je les ai eus dans la solitude.
Je ne peux pas compter mes amis d’enfance : ils font encore une foule autour de moi. Je ne sais plus bien qui ils sont : ils ont tant laissé d’eux en moi, j’ai tant laissé de moi en eux ! Dans ce jeu de miroirs, qui vais-je reconnaître ?
Il y a les morts pourtant.
J’appartenais à une génération qui devait être décimée, quelques années plus tard, au moment de la guerre mondiale. C’est pourquoi beaucoup de ceux dont je parlerai ne sont plus. Mais je ne crois pas qu’il faille porter le deuil : eux ne l’auraient pas voulu, étant tous morts pour avoir trop aimé la vie. »

( quelqu’un connaît-il le photographe ?)
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