Récemment un auteur, qui se décrit lui-même comme vaniteux et narcissique, et je ne le dédirai pas, disait qu’il ne fallait pas craindre de parler, parce que notre parole n’avait pas tellement d’importance et que de toute façon personne n’écoutait vraiment. Constatation si sotte, surtout venant d’un écrivain, que je pourrais me contenter de lever les yeux au ciel et en rester là.
Mais prenons la remarque pour plus intéressante qu’elle ne l’est. Elle signale deux types d’écrivains. Les bavards et les taciturnes. Pour un taciturne, c’est tout l’inverse. La parole compte. Chaque parole. Elle ajoute au monde. Or il n’est pas forcément bien d’ajouter au monde. Sans doute est-ce même foncièrement mal. Il se porterait sûrement mieux sans le bruit et la fureur des hommes, sans leur unanime et incurable bêtise. Alors, mieux vaut se taire si on n’a rien à dire, ou si on ne sait pas le dire, et jusqu’à ce qu’on sache le dire. Ainsi raisonne le taciturne. Et du lecteur, de son lecteur imaginaire du moins, il a une haute estime, il lui suppose une qualité et une acuité d’écoute proche de l’ubiquité, comme s’il était plusieurs lecteurs à la fois, aux diverses exigences et attentes et percevait la moindre faille de son discours. Sans l’estime de son lecteur, sans croire à son écoute, pourquoi écrire ? Pour s’écouter parler ?
Le taciturne ne s’écoute pas parler. Il ne s’aime pas tant que ça. Sa voix ne l’enchante pas. Elle ne sert qu’à toucher le réel et, par cet impact d’une justesse infaillible, le faire vibrer, résonner, en entendre l’intériorité, en contempler les parois irisées. Tant de poètes me viennent à l’esprit pour l’illustrer, mais avant tout Georges Séféris, dont les journaux décrivent un long travail de renoncement et non d’enrichissement.
Cette littérature ne s’inscrit pas dans le dialogue, parmi la parole des autres. Elle a pour fond et fin le silence. Et quelle exigence que le silence ! Il est d’or, dit-on, et la parole d’argent. Seule la patiente et persévérante alchimie de l’écriture permettra la transsubstantiation. Alchimie, ou ascèse. Écrire ici ne se distingue pas d’être et d’une discipline de l’être. Elle garde la mémoire de son inscription dans la pierre, de son économie dans l’espace, de son poids dans le temps, et pourtant comme elle sait être légère. La légèreté de la flèche et non de la poussière, l’apesanteur que donne la vérité et non la vanité. Bien loin des bavardages et divertissements de salon. Soit dit en passant, par littérature bavarde, je n’entends pas une littérature abondante, aux livres longs ou aux longues phrases, mais une littérature qui produit et surproduit, sans se poser la question de sa pertinence ou de sa nécessité.
Cependant, en s’affiliant aux taciturnes, on en vient souvent à ne plus écrire du tout. L’épure a sa part de censure. C’est le risque. Dans ce cas, rappelons-nous qu’il faut rater pour réussir, et plus d’une fois. Soyons modestes autant qu’exigeants.
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