Récit de rêve
Nous n’avons pas de maison. En attendant, nous séjournons dans celle-ci, amarrée à la nuit, flottant sur des vagues de vent dans la forêt noire où l’humidité dépose en guirlandes des lampions aux parois irisées. Les feuilles gagnent lentement les fenêtres double vitrées. Je sens, à travers, leur souffle froid, leur haleine de fleurs. Il faut partir demain. Déménager. Je fais une bulle et j’y entre : lire un moment, écrire, avant de ranger, empaqueter, emporter. E s’énerve et crève la bulle. Je réplique : il vaut mieux qu’on se sépare ce soir, on visitera la ville chacun de notre côté. Une ville de petits carrés dans de petits carrés, vertigineuse : promenade dans une toile de Vieira da Silva. J’avance dans la crainte de rencontrer E, en me révoltant et lui en voulant de vivre dans la crainte. J’hésite à un croisement. Quel est le bon côté ? Le sien ou le mien ? Devrais-je être en colère contre moi ? N’est-ce pas la même chose ? N’est-ce pas avant tout contre moi que je suis en colère contre lui ? Il arrive, les mains dans les poches de sa veste noire aux deux parallèles blanches. Entre nous la porte ouverte d’une boîte de nuit souffle une allée embuée, violacée.
Quelqu’un me montre une grue et me raconte qu’un garçon qui travaillait là-haut est tombé : il est mort. Je contredis parce que je le connais : il est bien tombé, pile dans la mer, et s’est changé en panthère des mers, la nage aussi douce qu’un pelage, la caresse des caresses. Il est ressorti là-bas, parmi les îles minuscules en myriade, chacune à peine assez grande pour abriter un arbre ou un bouquet d’arbres, forêt en pointillés où la mer dessine un réseau de sentiers salés sous une canopée à la faune et à la flore folles qui s’entremêlent dans les hauteurs. Le garçon-panthère pose sa patte souple sur le sable et s’ébroue pour se débarrasser des nénuphars. Il rencontre un autre garçon (tous deux ont 17 ans environ) et en tombe amoureux. C’est étrange, ce garçon sort avec son ancienne copine et il ressent ce qu’il ressent lorsqu’ils font l’amour (expression bien sentimentale pour ce qu’ils font). Le garçon répond : ce n’est pas étrange, avant ta mort, ou plutôt ta métamorphose, je ressentais ce que tu ressentais, c’est pour ça que je l’ai choisie, elle.
En fait, je suis encore dans ma bulle et je lis un livre parfait, il est plein de tirets. J’en parle à Flore, elle est d’accord. Elle commente : c’est le rythme.
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