Un livre présage, l’écho d’une révélation à venir, encore confidentiel, un oiseau qu’on se passe sous le manteau. Il lui manque un éditeur. Pour vous le procurer, vous pouvez vous adresser à son auteur : Quyên Lavan. Vous devrez passer quelques épreuves dont je ne peux vous révéler la teneur. Elle tentera, entre autres, de vous décourager en vous disant que c’est trop long (335 pages), que le début est lent et ce passage-là mal démêlé. Il ne faut surtout pas l’écouter.
L’histoire se consacre aux personnages secondaires, à leur grâce particulière d’effacement et d’écoute, à leur solidarité qui fait tenir le monde : « c’est la place du second qui s’avère nécessaire et d’une valeur intrinsèque ; l’émotion se joue dans la relation entre les personnages, la reconnaissance dans toutes ses acceptions, l’interdépendance ».
Le héros, Frankie, est absent ; et tous tournent autour de cette absence, interrogent ce manque, François surtout qui, en suivant les traces de Frankie, double sa destinée comme son nom de manière imprévisible et énigmatique. Celle qui m’a bouleversée est le personnage secondaire de ce personnage secondaire, la lointaine Meryam, nimbée de la force de la faiblesse, vous savez celle du roseau qui ploie et ne casse pas. Vous tomberez sous son charme en l’écoutant rendre hommage à l’arbre déraciné : « Je chante le circoulier à la vaste mémoire, l’arbre aux mille patries, honoré de la Chine au Portugal. Sa branche posée sur le chapeau des jeunes hommes en mal d’amour, son bois qui tend les cordes du violon, sa feuille, bouclier contre le mauvais œil, sa fleur d’où naît un miel plus précieux que l’or, son fruit lumineux qui délecte et guérit l’âme aussi bien que le corps. Je chante le circoulier où se penchent les anges, son épine qui couronne le Christ, sa cendre victorieuse du serpent. Je chante le jujubier du Paradis, bruissant d’autant de feuilles qu’il est d’êtres vivants. »
Composé en saisons, mois et jours de la semaine avec la virtuosité d’un découpage et d’un montage filmiques, le roman évoque l’Angleterre, la France, le Liban, les États-Unis et la Nouvelle-Zélande à travers une famille recomposée et éparpillée. Ce monde éclaté de l’exil et de la séparation, on ne peut plus contemporain, est analysé de manière inédite et subtile, avec toute l’inactualité nécessaire à un regard clairvoyant et un humour décapant, destructeur juste ce qu’il faut pour être libérateur – François se trouve « aussi captivant qu’une flaque en Bretagne » et le chignon de son amie semble « une pelote d’énergie concentrée pour l’action imminente ». Les liens du sang se mêlent et se démêlent, ainsi que les relations entre générations, dans l’impossibilité de se couper, dans leur inexplicable nécessité. La jeunesse y a un avantage, un seul : celui de vivre selon la vérité.
De la spiritualité qui habite le livre, je connaissais l’immanence de la transcendance mais j’ignorais la pugnacité de l’espérance que décrit une adolescente zébrée par les ronces du soleil et de la mort : « Depuis sa disparition, j’apprends ce qu’est l’espérance. Certainement pas une jolie chose mièvre qui fait voir la vie en rose. C’est une épreuve difficile et très physique, une course de fond. »
Enfin, c’est un livre sur le jardinage. Oui, oui, le jardinage, mais comme vous n’en avez jamais entendu parler, sauvage : « Le jardinage a cet effet de clarifier la plus byzantine des natures. Rien de tel que de se mesurer à la résistance de la terre pour se défouler. Rien de tel, surtout, pour oublier la cacophonie, les à-peu-près, le merdier intérieur, que de sentir entre ses doigts les pousses encore translucides, à peine matérielles, les graines où l’énergie concentrée à l’extrême n’est encore que rayonnement, et d’en contempler l’explosion patiente et inexorable, le crescendo déferlant sur une fréquence inaudible aux mortels, modulant à l’infini la puissance du vivant. Voilà son addiction, sa folie douce à lui. »
Le style de Quyên est un jonc, jonction entre ciel et terre, coupant l’horizon de sa verticalité tranchante et ondulante, délicate et obstinée, alliant la précision à la suggestion. Dans sa poésie ce jonc est isolé et fascine, dans la prose il fait foule et bruisse autour de l’âme.
Ce que sème l’hirondelle
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Commentaires
3 réponses à « Ce que sème l’hirondelle »
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je suis au milieu du gué (et l’eau est vive et vivifiante, un régal !) et je ne dirais pas mieux que Joséphine !
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D’habitude, il est difficile de recevoir, tu le disais, bien plus que de donner. Et pourtant, naïveté peut-être, je reçois cette lecture, cet article écrit de ton inimitable plume, avec une joie et une reconnaissance sans ombre ni hésitation. Je danse intérieurement, émerveillée de ta « lecture voyante » et sensible, de la façon dont l’éclat de ton intelligence rejaillit sur mon travail d’écriture. Bien sûr, tu vois des choses que je n’avais pas vraiment conscience d’avoir mises dans mon texte, mais en te lisant je les reconnais. Ce qu’il faut à tout écrivain, c’est une lectrice comme toi.
Je suis émue que Meryam t’ait touchée plus que je ne saurais dire. Merci d’avoir pris le temps de lire et celui d’écrire cet article. Je ne sais si un éditeur voudra de mon roman, mais le fruit qu’il produit ici et en ton émotion vaut bien toutes les reconnaissances.J’aimeAimé par 2 personnes
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A reblogué ceci sur In the Writing Gardenet a ajouté:
Joséphine Lanesem a lu mon roman encore inédit et a la gentillesse d’en parler dans son blog. C’est elle qui la première a parlé des « lecteurs voyants, poètes de leur lecture, qui créent autant que les écrivains qu’ils lisent, bien qu’autre chose qu’eux ». C’est avec reconnaissance et une joie toute ronde que je reçois ce témoignage de sa lecture voyante, grâce à laquelle mes personnages poursuivent leur chemin.J’aimeAimé par 1 personne
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