Irène est la ville qu’on voit lorsqu’on se penche au bord du plateau à l’heure où les lumières s’allument et on distingue là-bas, au fond, dans l’air limpide, la rosace de l’agglomération : où elle multiplie ses fenêtres, où elle se disperse en sentiers à peine éclairés, où elle amasse les ombres des jardins, où elle élève des tours portant le feu des signaux ; et si le soir est brumeux, une clarté brouillée gonfle comme une éponge gorgée de lait au bas des calanques.
Les voyageurs du plateau, les bergers qui transhument leurs troupeaux, les oiseleurs qui surveillent leurs rets, les ermites qui cueillent des chicorées, tous regardent en bas et parlent d’Irène. Le vent porte des fois une musique de grosses caisses et de trompettes, le crépitement des pétards dans l’illumination d’une fête ; d’autres fois l’égrenage de la mitraille, l’explosion d’une poudrière dans le ciel jaune des incendies qu’attise la guerre civile. Ceux qui regardent depuis là-haut font des conjectures sur ce qui se passe en ville, ils se demandent si ce serait agréable ou non de se trouver à Irène ce soir-là. Non qu’ils aient l’intention d’y aller – et de toute façon les routes qui descendent dans la vallée sont mauvaises – mais Irène aimante les regards et les pensées de qui se trouve en haut.
À ce point du récit, Kubilai Khan s’attend à ce que Marco parle d’Irène vue depuis l’intérieur. Et Marco ne peut pas : quelle est la ville que ceux du plateau appellent Irène, il n’est pas arrivé à le savoir ; d’ailleurs cela importe peu : vue depuis son centre, elle serait une autre ville ; Irène est un nom de ville vue depuis les lointains, et si on s’en approche, elle change.
Une est la ville pour celui qui passe sans y entrer et autre pour celui qui y est pris et n’en sort pas ; une est la ville où l’on arrive pour la première fois et autre celle qu’on quitte pour ne jamais y retourner ; chacune mérite un nom différent ; peut-être d’Irène ai-je déjà parlé sous d’autres noms ; peut-être n’ai-je parlé que d’Irène.
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Irene è la città che si vede a sporgersi dal ciglio dell’altipiano nell’ora che le luci s’accendono e per l’aria limpida si distingue laggiù in fondo la rosa dell’abitato: dov’è più densa di finestre, dove si dirada in viottoli appena illuminati, dove ammassa ombre di giardini, dove innalza torri con i fuochi dei segnali; e se la sera è brumosa uno sfumato chiarore si gonfia come una spugna lattigginosa al piede dei calanchi.
I viaggiatori dell’altipiano, i pastori che transumano gli armenti, gli uccellatori che sorvegliano le reti, gli eremiti che colgono radicchi, tutti guardano in basso e parlano di Irene. Il vento porta a volte una musica di grancasse e trombe, lo scoppiettio dei mortaretti nella luminaria d’una festa; a volte lo sgranare della mitraglia, l’esplosione d’una polveriera nel cielo giallo degli incendi appiccati dalla guerra civile. Quelli che guardano di lassù fanno congetture su quanto sta accadendo nella città, si domandano se sarebbe bello o brutto trovarsi a Irene quella sera. Non che abbiano intenzione d’andarci – e comunque le strade che calano a valle sono cattive – ma Irene calamita sguardi e pensieri di chi sta là in alto.
A questo punto Kublai Kan s’aspetta che Marco parli d’Irene com’è vista da dentro. E Marco non può farlo: quale sia la città che quelli dell’altipiano chiamano Irene non è riuscito a saperlo; d’altronde poco importa: a vederla standoci in mezzo sarebbe un’altra città; Irene è un nome di città da lontano, e se ci si avvicina cambia.
La città per chi passa senza entrarci è una, e un’altra per chi ne è preso e non ne esce; una è la città in cui s’arriva la prima volta, un’altra quella che si lascia per non tornare; ognuna merita un nome diverso; forse di Irene ho già parlato sotto altri nomi; forse non ho parlato che di Irene.
Les Villes Invisibles, Italo Calvino
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