C’était il y a sept ans, l’hiver dans un pays d’été. Nous étions parties les jours d’après Noël. Les senteurs sèches et sereines des sentiers tapissaient notre silence, où perçait parfois le bruit brisé, entre l’éclos et l’écho, des coquilles et des brindilles. Nous marchions vite, trop vite. Nous cherchions la pensée qui n’était pas encore. Turquoise ou émeraude, mousse, fougères et cours d’eau captivaient par instants nos regards égarés. Les arbres oscillaient, leur barbe ébouriffée, tristes archers d’une forêt dispersée, pauvres bardes d’une foi dissipée. Le froid venait. Il fallait prendre du bois pour le feu, des baies pour le thé, des clartés pour les rêves, puis rentrer. Tu marchais derrière et je t’entendais penser à moi, puis tu me devançais et je te voyais songer à quoi faire de tes jours. Ombrageuse… Lune dont j’attendais les phases…
Auprès du feu tu me racontais des systèmes comme d’autres racontent des histoires. Entre tes mains tournaient les mondes imaginés par les philosophes d’autrefois et d’aujourd’hui, des globes gribouillés de symboles, des chimères à la chair étoilée, des lignes portées à l’infini, des origamis d’univers. Tu m’apportais des merveilles et disais c’est réel, c’est réel. À ta pensée je déliais et délinéais la mienne.
Pourtant ce que tu inventais pour enrayer ta course, apeurée de ta propre splendeur…
À la bibliothèque, tes yeux parcouraient les livres comme deux oiseaux cherchant l’été, tes cheveux s’échappaient et s’emmêlaient aux miens. Tu m’écoutais mieux que moi-même. Tu répondais à ce que je ne savais dire. Avant de te connaître, je ne me connaissais pas. À la sortie il faisait nuit. On achetait de la glace ou des biscuits et allait les manger dans une rue déserte, au bord d’une fontaine plus vieille que la ville, ou dans un jardin aux grilles laissées ouvertes, où ne se trouvaient que quelques marches, du sable et trois arbres. On s’entendait à merveille sans jamais être d’accord. Par formation, l’esprit de contradiction. Tu m’apprenais à déchiffrer le corps. C’est comme une muraille, avec ses feuilles et ses failles. Pour tes yeux, pour leur regard d’orée, je donnais tout ce que j’avais de bon, d’entier et de sincère.
L’habitude avec toi n’a rien de monotone et mort. Elle a le charme des refrains et des anaphores. Elle a volé son h au bonheur, ce coup vent qui fend le mot et ébouriffe sa tête sérieuse et satisfaite. Tu as ce mystère qui m’apporte plus de paix que toutes les évidences. Je suis née de ton silence.
Notre amitié à l’imparfait a la douceur de ce qui est usé et la poésie de ce qui est troué. Elle me protège des rigueurs du présent.
À l’amitié
Commentaires
37 réponses à « À l’amitié »
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Une telle amitié se conjugue au présent. Exploration des racines, suite. Magnifique, encore.
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Oui, ma véritable origine.
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Serait-ce l’amie qui t’a dit : en te lisant, j’ai l’impression que tu me lis ?
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Non, elle c’est Anna, que j’évoque dans le billet « Anna et les mots ».
Camille, dont je parle ici, est bien plus réservée. On ne parlait jamais de notre amitié, de peur de la réifier je pense, et un jour elle m’a dit, comme si de rien n’était, qu’elle était un miracle.J’aimeAimé par 1 personne
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L’Etrangere.
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Exactement
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Très beau texte ; ne pas dire les choses de peur que le mot, en les fixant, ne les figent (ou se trompe)… c’est très tentant (mais heureusement, ça n’empêche pas les miracles).
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Merci cher Paresseux, j’attends la réaction de l’amie en espérant n’avoir rien trahi.
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Le mot parfois que l’on retient. L’intensité silencieuse de deux âmes accordées. Mais parfois, il est vrai, un mot échappé sans trop y penser, crée le miracle et tombe au cœur.
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Oh que c’est beau Joséphine. Je ne sais pourquoi, je n’ai pas reçu le petit mail habituel, quand tu publies quelque chose. Tu dis de manière si personnelle, si précise ce qui ne se peut dire. Les mots font une musique étrange, que je n’avais jamais entendue, quand c’est toi qui les accordes. Et tu touches au silence, car la grande amitié résonne dans le silence. C’est si simple et si fertile, le silence de deux amies. Je suis bouleversée.
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Est-il utile de préciser que cette étrange musique est profonde et ravissante? Cela me semblait si évident…
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Merci, et j’ai très bien pris le qualificatif d’ »étrange musique » ! On m’a très souvent dit que j’étais étrange, ou fait sentir. Il y a quelques jours ici, à Berlin, une petite fille parlant italien et ne sachant pas que je la comprenais, m’a dévisagée et a demandé à sa mère : « pourquoi elle est étrange ? » Et même mon recueil, le premier titre était L’étrangère et autres histoires étranges. Cet ange un peu déglingué qu’il y a dans l’étrangeté, je l’aime bien. Évidemment, de mon point de vue, ce sont les autres qui sont étranges 😉
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Forcément! Il y a quelque chose de mystérieux et d’angélique dans ton visage (dans le petit rond qui nous montre, ou qui nious cache?)…
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Merci, j’en rougis. 🙂 C’est comique de le voir se balader en bas des pages.
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J’ajoute les joues rouges à la photo! Moi je suis bien cachée derrières mes narines qui tournent en rond!
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C’est un avantage. On (pré)juge beaucoup d’après un visage. Mais je ne sais pas, je n’y ai pas vraiment pensé.
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Et moi non plus. J’aimais juste les mines colorées et le rond. Après coup, on peut broder…!
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Et en parlant de titre, je trouve que le titre définitif est vraiment parfait. Comme si le livre se déclarait, plein de promesses, comme le lieu de toutes les libertés et de tous les chemins, et comme une douce tyrannie dans laquelle on se love toujours avec délice. C’est finalement aussi une déclaration d’amour. Je n’ai pas encore lu, mais le titre se promène déjà dans mon esprit.
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C’est exactement ça : une déclaration d’amour, mais je te laisse le découvrir. Et cela s’accordait si bien avec la peinture de Séraphine… J’aimais l’idée qu’on y pénètre comme dans une forêt luxuriante et peut-être inquiétante.
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Oui la couverture est magnifique aussi! Une aventure à elle seule.
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Merci Clémentine, tu entends parfaitement ce silence « si simple et si fertile », tu dois avoir des Camille dans ta vie. Ces rencontres-là paraissent à la fois nécessaires et invraisemblables, comme une grâce du ciel. Peut-être le mail met-il du temps parce que je n’arrête pas d’ajuster le texte, ce n’est qu’un aperçu de notre amitié, il y aurait tellement d’autres choses à raconter, exprimer… Mais les aperçus parfois disent davantage, ils suggèrent mieux, comme les esquisses. Je m’égare…
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L’esquisse est le trait le plus sûr… Et ton coup de crayon est si clairvoyant. Oui, il y a des Camille dans ma vie. Je t’entends très, très, profondément. J’avais tenté un petit poème (que j’avais qualifié de maigre – mais Quyên n’était pas d’accord ) pour tourner autour ce silence miraculeux. Je crois qu’il s’appelle « Instants essentiels. » Enfin l’évocation de ta Camille me donne envie de parler aussi, de ma vraie Camille, ma fille. J’espère qu’elle sera, elle aussi, un jour, la Camille d’une Joséphine!
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Cette Joséphine-là aura bien de la chance. Et c’est fort probable puisqu’il y a une nouvelle vogue de ce prénom, qui était out depuis 1907… Je vais lire ton poème !
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Je n’en ai jamais croisée dans mes classes. Nous verrons dans quelques années! Et si cela se produisait, cela serait… étrange, maintenant! Oui je crois, dans mon orgueil de mère, que ma Camille sera un grand bonheur pour ceux qui l’accompagneront. Pour l’instant, elle s’autosuffit en bonheur, une vraie usine à sourires! Elle est incroyable!
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Il y aussi, si je me souviens bien, « Le thé partagé » qui cherche la même chose, ou presque. J’aime l’idée d’un tissu plein de motifs qui s’accordent, fait de nos pages mouvantes.
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Le thé, l’hydromel de l’amitié.
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Genau
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Je crois que, thé et café, ce n’est pas pareil. Le café c’est intense et solitaire, ou express comme deux copines dans un grand rire. Oh, il y aurait à écrire là-dessus…. Le thé c’est le temps pris et le temps donné. Arôme subtile qui enchante mais ne s’impose pas. C’est l’odeur de l’harmonie de deux amies que se retrouvent. Je divague, mais ta remarque me trotte dans la tête depuis hier soir. 🙂
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J’ai croisé un certain nombre de petites Joséphine, effectivement. 🙂
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Dire tout au risque de vider le sujet, et de le manquer. Et puis, de toute façon, est-ce seulement possible? Non, vraiment, l’esquisse.
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Superbe dans les mots placés, dans les sentiments évoqués.
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Merci Laurence, cela me touche. Comme vous dites, il faut placer les mots, et sur un tel sentiment c’est délicat, cela me rappelle mes échafaudages de kapla, petite.
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Intéressante métaphore 🙂
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Je reviens, relire le texte, puis les commentaires entrecroisés depuis tout a l’heure ; je ne sais pas trop quoi dire, sinon le plaisir de lire quelque chose d’aussi simplement juste, sensible et émouvant. Merci à toutes pour ce privilège.
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Nous formons une jolie troupe, aux talents si variés, et dont tu es l’acrobate 🙂
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Je ne sais plus quoi dire puisque les commentaires précédents expriment très justement ma pensée à la lecture de ces jolis mots qui dansent : un ballet comme j’aime, délicat, poétique, surprenant par ses figures, bref un très beau style pour une belle expression.
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Merci Anne, c’est très joliment et sensiblement dit. J’aime l’idée des « figures suprenantes ».
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