
Des ciseaux, petits, de précision, dit-on. Luisant sur l’émail blanc, leur acier recèle d’infinies querelles et l’éclat d’une étoile.
Ils ne m’appartiennent pas, je les utilise comme si. Des objets de lui qui modèlent mon corps, comme il y en a tant ici.
Ils coupent, étincelle d’extrême, coulée de saignée, épuisement du trop plein d’exister, entaille dans les ténèbres du corps. Le soulagement de laisser un peu de soi devenir chose parmi les choses, des ongles pâles, les nœuds de boucles indémêlables, la peau tendre aux coins des doigts ou dure sous le talon. Le dégoût et la fascination qui l’accompagne. Le frisson, la caresse piquante, de se tailler comme un buisson.
Sans symbolique, ces petits ciseaux. En série. Aussi monotones que la pluie. Une fois par semaine. Les pieds puis les mains. L’occasion de regarder ses pieds, ses mains, merveilleusement articulés, enchantés.
Ici on ne les appelle pas ciseaux, mais forbici. Et les ongles unghie, les pieds piedi, les mains mani. Des mots qui prennent les objets, pénétrant le réel par leur étrangeté même, alors que la langue maternelle les laisse glisser et cherche leur essence dans les débris épars, servante de l’âme seulement, fluide, fuyante, tourbillonnante, ruisseau de l’émoi sur la roche des choses que rident en passant les pensées.
Les lames courtes et courbes, ridiculement minuscules face aux lobes larges et plats qui les prolongent, réservés aux doigts. Une disproportion folle, fantasmée, transformant la main entre géant et nain.
Jointes l’une à l’autre par une vis, un point, deux lames croisées comme nos deux langues, la sienne & la mienne. Avant, quand il n’y en avait qu’une, je ne savais que lacérer le monde, ou moi. Avec deux je commence à découper des formes, faire des images, raconter des histoires.
Contribution à l’e-musée de l’objet
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