Olivier

Italie, Grèce, Espagne & Portugal, 2013-2023

L’olivier est multiple. Il ne se rappelle pas à moi isolé, mais en rangées sur les collines, en vagues bruissantes et brillantes, autour des vagues tout aussi bruissantes et brillantes de la Méditerranée, dans ces pays où la lumière est si ravie d’exister qu’elle commence à trembler. Lumière sans interruption de la terre à la mer, de la mer à la terre, portée par le vent, privée par lui de toute matérialité, réduite à une poussière de lumière qui est la lumière la plus pure.

Lumière d’or qui ici s’argente. Lumière chaude qui ici se refroidit, se concentre, s’assombrit dans un fruit, qui retient cependant la clarté en son centre et la révélera sous la meule : ce sera l’huile, qui imprègne le pain et la peau. Ainsi, la lumière de la mer devient chair de l’Homme.

Son nom coule comme son huile. Sa silhouette s’arrondit et se tresse comme le panier qui recueillera ses fruits. Il a le goût des choses sans apprêt, de la vérité crue. Son feuillage gracile comme un tracé d’encre dans l’air, un poème à même le ciel, un appel à toujours plus de légèreté, de subtilité, de finesse. Inlassablement, il se fragmente et se rassemble, décrivant dans les moindres détails – chaque feuille, un trait de crayon – le geste ample et doux de la respiration. Sous les rayons obliques des débuts et fins de journée, l’arbre entier s’auréole d’une blancheur amère, comme si s’entrouvrait là une porte vers l’au-delà.

L’on se connaît depuis que le monde est monde. Contre lui, le résistant appuie son arme, le paysan dépose sa charge. À ses branches, le passant accroche sa veste ou sa monture. Sous son ombre, les femmes déploient leur jupe comme une nappe ; et les tout-petits libérés de leurs entraves font là leurs premiers pas, tandis que les moins petits rêvent et que les plus grands réfléchissent, guidés chacun par son murmure, ce murmure qui résonne dans nos plus anciens mythes.

Il est l’identité de la Méditerranée, ce qui dans ce lieu fut toujours identique. Le lit de Pénélope prend pied dans une racine d’olivier. Il nous raconte le temps, notre temps, la succession des générations, l’origine de notre culture et toutes ses ramifications, en arbre éminemment cultivé, apprivoisé par nos soins en d’infinis vergers.

Les oliviers furent et seront, toujours les mêmes, mille fois les mêmes, répétés de colline en colline pour des siècles et des siècles, et cette permanence de la vie, non des roches ou des vagues, mais de la vie semblable à la nôtre, tout aussi tourmentée dans sa verticalité, tout aussi claire obscure dans ses pensées, nous procure une sorte de paix. Qui sait d’où nous venons, où nous irons, mais nous sommes une maille, nous aussi, de cette continuité, une maille indispensable, sans laquelle un trou se formerait et, de proche en proche, déferait tout l’ouvrage.

Paysage de patience, monotonie de ses nuances et de ses chuchotis. Arbre très vite vieilli, ridé, noueux, tout le contraire du bouleau, lui est toujours déjà grand-père : il sait donner le temps au temps. Même en mourant, il se multiplie : de sa souche jaillissent les surgeons, source végétale aspergeant le visage incrédule, substance qui sustente les corps maigres que la lumière consume.

Là où il y a un olivier, il n’y a plus nulle part où aller. Comme Ulysse, nous sommes rentrés. C’est le rameau qui annonce le rivage, le rire du fils sautant dans les bras de son père, la femme renversant le panier, sa course éclaboussée d’oiseaux, ses yeux verts tranchant l’ombre, et l’étreinte enfin comme l’accomplissement des temps. C’est la maison éblouissante du retour dans l’éternelle et passagère lumière.


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Commentaires

11 réponses à « Olivier »

  1. Avatar de alainlecomte

    absolument magnifique! je partage ce goût des oliviers. J’en possède un, il est isolé celui-là, juste sur le petit bout de terrain que je possède en face de ma maison de la Drôme, car oui, les olives du nyonsais sont réputées, elles sont de la race des « tanches ».

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    1. Avatar de Joséphine Lanesem

      Quelle chance ! Un olivier suffit à faire un chez soi 🙂 En effet, il y a plein d’oliviers (et donc d’olives) différents, cela pourrait être le sujet d’un autre article, je n’ai pas les connaissances pour l’écrire, mais j’aimerais le lire !

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  2. Avatar de laboucheaoreille

    Très beau texte ! Savoureux et sensuel…

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    1. Avatar de Joséphine Lanesem

      Merci Marie-Anne ! C’est un plaisir d’écrire sur les plantes 🌱

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  3. Avatar de Frog

    Magnifique – et comme je suis heureuse de retrouver ton écriture ici. Hymne à l’olivier que je laisse me bercer d’images familières et vives, anciennes et neuves – et je suis frappée de cette « blancheur amère » que tu révèles soudain à mon coeur qui la reconnaît. Aujourd’hui, mes grands ont passé leur dernier examen de Civilisation Classique, je dois les laisser s’en aller pour de bon – ton olivier chante la peine de l’adieu aussi bien que la joie du nostos. J’ai lu avec eux le lit d’Ulysse et écouté le murmure d’argent sur les sentiers anciens. Cela me fait du bien de les retrouver ici, sous ta plume qui presse parfaitement leur essence pour notre faim.

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    1. Avatar de Joséphine Lanesem

      Merci amie ! Tu as bien perçu le déchirement, que l’olivier tente de recoudre et combler, ainsi que mon envie de revenir aux images classiques, sans qu’elles soient pour autant clichés. J’espère que tu auras de nouveaux élèves et ne perdras pas de vue les anciens.

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      1. Avatar de Frog

        Merci. Il semble qu’on ait des candidats pour la première l’année prochaine – mais peut-être pas aussi doués. Je crois que ce qui rend mes élèves spéciaux cette année, c’est que j’ai fait l’Odyssée avec eux. Normalement l’autre prof s’en charge. L’Odyssée, l’Eneide et Religion Grecque – beaucoup de temps ensemble. Vraiment te lire m’a fait beaucoup de bien. Merci!

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  4. Avatar de Ivana Suhadolc
    Ivana Suhadolc

    Che bello Joséphine, tu in prosa scrivi poesia. Mi è piaciuta tanto la luce che è così felice di esistere da tremare tutta. Prima o poi pubblicherai un libro intitolato Arbres. Sarà un libro elegante, con deliziosi acquarelli degli alberi che canti, e mi dovrai fare una dedica bellissima! 😉
    Non smettere mai di scrivere!

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    1. Avatar de Joséphine Lanesem

      Grazie Ivana 💚
      Non solo alberi! La prossima volta scriverò sui narcisi che abbiamo visto in Slovenia. Non so se tutti questi articoli diventeranno un libro: l’elenco dovrebbe avere una fine, ma quale? Ci saranno sempre nuove piante da descrivere e su internet l’erbario non manca di pagine. Però mi piace il libro prezioso che immagini ☺️
      A volte vorrei smettere di scrivere (per tante ragioni: è inutile, prende troppo tempo, mi rende distratta, non sono mai soddisfatta), ma non posso fare altrimenti, ne ho bisogno per respirare ed esistere e in fin dei conti è solo gioia e gioia condivisa!

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  5. Avatar de Harry
    Harry

    je découvre ton blog. J’aime beaucoup la douceur et la poésie qui s’en dégage.
    Je comprends tout ce que tu as écrit sur l’olivier. En arrivant dans mon appartement, il y avait, sur le balcon, un olivier dans un grand pot et je le regarde souvent.

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    1. Avatar de Joséphine Lanesem

      Merci pour votre visite ! Oui, les oliviers apportent du charme et du calme, même sans tout leur paysage naturel, dans une cour ou sur un balcon. Ces mois-ci, j’en ai un aussi juste devant chez moi.

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