Costa Brava, Espagne, 2018
Voici un arbre horizontal. Les autres grimpent au ciel, tentent de le dépasser, lui s’arrête à la bonne hauteur et se délasse sur sa terrasse. Eux transpercent l’air, lui le caresse. Son feuillage est à l’image des nuages : il a simplement remplacé la goutte par l’aiguille, c’est la même forme, la même langueur, longue dérive du regard et du désir. Allons sur ce radeau céleste, partons pour un voyage du songe.
Rares sont les arbres qui font comme lui le choix de l’horizon. Ils marquent un paysage, en deviennent l’emblème : l’acacia signe les savanes africaines comme le pin parasol les collines de Rome et les côtes d’Espagne. Ce n’est pas qu’il n’a pas de cime, il n’est que cime, que summum et surplomb. Il répète et reporte l’horizon, plus loin, plus haut, nous invitant à gravir les côtes et les collines pour contempler le monde depuis le précipice où il s’élève.
La pauvreté des sols, l’âpreté des embruns, la sécheresse de l’air, c’est son milieu. Il y survit par légèreté. Certes, moins acrobate que son frère, le pin d’Alep, mais il sait lui aussi s’élancer dans le vide pour résister, tout juste, à la chute, le vent façonnant dans ses tourbillons la spirale de ses cônes et de ses branches. Sa ramure est une ramification à l’air libre, comme s’il cherchait à s’enraciner dans le ciel. Même dessein sur et sous terre, le sol comme un miroir entre racines et ramée.
Son bois émerge de la roche, il en garde ce rouge crevassé, terre comme du sang séché. Très vite, on se rend compte qu’il est moins calme et contemplatif qu’il n’y paraît, vu de loin. Tronc tortueux, frondaison échevelée. Quel drame traverse-t-il ? Malgré ses tourments, il ne se décompose jamais. En tout lieu, il apporte grâce et distinction. Même sa souffrance participe à son élégance.
Les conifères sont les pins de la lumière. Ils s’en nourrissent plus que les autres, et le pin parasol est le plus gourmand d’entre eux. Il lui faut toute la lumière rien que pour lui. Personne au-dessous ni au-dessus. Pour cette raison, il ne fait pas forêt, tout au plus bosquet. Plus tamis que parasol, il retient l’or du soleil à sa surface et laisse tomber la boue de l’ombre. Le souffle scintillant de la mer se poursuit dans ses aiguilles, passant du bleu au vert. Lui seul, de tous les pins, nous offre une graine comestible, le pignon, or blanc des cuisines du Sud. On en agrémente les plats d’une poignée parcimonieuse.
Ses aiguilles n’ont rien de l’épine. Souples, mobiles, elles ne blessent pas les doigts et les imprègnent d’une odeur de citron. Liées deux à deux, par couples inséparables, elles symbolisent la fidélité, composant un feuillage constant, toujours présent, toujours verdissant, été comme hiver. Toi et moi à la vie à la mort. Promesse que l’on scelle sous la protection de sa frondaison, comme sous la main de Dieu.
Ses prédateurs sont les papillons de nuit, des prédateurs aussi légers que lui. Il est léger même sous terre et, sans les champignons qui étoffent ses racines, il se détacherait, mais ne tomberait pas, non, il s’envolerait plutôt.
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