Récit de rêve
L’adolescence. Après une fête d’anniversaire chez une amie, en périphérie de la ville, nous rentrons, filles emmitouflées sur les quais à la gare, dans la nuit d’hiver embrumée de nos paroles. Sur le quai d’en face, l’une d’entre nous disparaît. Enlevée par l’éclair. Il ne reste d’elle que le bitume fracassé, marqué d’une fissure en forme d’éclair. Je la cherche, pas question de partir sans elle, je reviens en arrière, dans la maison de celle dont nous avons célébré les années. Nous la cherchons ensemble, en vain. Elle apparaît dans le reflet des vitres, mais s’en retire dès que nous approchons. Je comprends : elle n’a pas été enlevée, elle se cache.
En parallèle : un spectacle d’acrobatie, elle chute, vêtue de noir, dans le noir, mais reliée par un fil au plafond ; l’une d’entre nous, ses amies, dans un habit pailleté d’argent, plane à mi-hauteur et la retient dans sa chute, en la prenant sur son dos ; elle remonte, tirée par son fil, juste au moment d’entrer en contact. La scène se répète. Elle tombe pour être rattrapée.
Je sais tout de suite de qui elle se cache. Du mal, du maître du mal. Elle le connaît bien, ce qu’elle pourrait dire de lui au monde, elle pourrait montrer l’origine du mal et ce serait sa fin. Elle le connaît depuis l’enfance. Je la vois, âgée d’une dizaine d’années, une cape sur les épaules, qui descend des marches, la menant sous un pont, sur un quai. Silence et nuit. Les murs suintent, le sol aussi. Ils ont des reflets comme le fleuve. Mais pas d’argent. Ses pas, le seul bruit, en révèlent la couleur. Rouge. Du sang. Elle résiste, elle ne veut plus avancer, elle ne veut pas y aller. Le mal lui donne un coup de coude dans la bouche pour la faire taire. Je cache l’image de mes mains, il ne faut pas que vous voyiez, vous ne pourriez pas supporter.
Elle peut le vaincre, il en a conscience. Alors, il remonte le temps, à l’époque d’une de ses vies antérieures, lorsqu’elle n’était pas aussi puissante – lui n’a pas d’âges, pas de vies. Il demande à un de ses sbires où il peut la trouver. Celui-ci l’informe qu’elle jouera le rôle d’une martyre lors de la procession, dans une cage de bois. Le mal la surprend à cet endroit. Elle porte la robe bleue de Marie. Il la renverse d’une lancée de flammes, elle se relève soutenue par sa sœur et sa mère. Chacune d’un côté la prend par le bras, sous l’épaule, pour la relever d’un mouvement commun. Dans ses yeux brûlent des flammes si pures qu’elles sont presque transparentes. Elles consument les flammes du mal. Sans cesse, renversée et relevée, consumée et consumant. Je sais bien qu’elle perdra. Pourtant peut-être pas.
