Si l’on t’interroge sur le monde

Un poème qui prend sa pleine résonance aujourd’hui.

Tandis que tu fais une chose ou l’autre,
quelqu’un est en train de mourir.

Tandis que tu brosses tes souliers,
tandis que tu cèdes à la haine,
tandis que tu écris une lettre prolixe
à ton amour unique ou non unique.

Et même si tu pouvais parvenir à ne rien faire,
quelqu’un serait en train de mourir,
essayant en vain de rassembler tous les coins,
essayant en vain de ne pas regarder fixement le mur.

Et même si tu étais en train de mourir,
quelqu’un de plus serait en train de mourir,
en dépit de ton désir légitime
de mourir un bref instant en exclusivité.

C’est pourquoi, si l’on t’interroge sur le monde,
réponds simplement : quelqu’un est en train de mourir.

Roberto Juarroz, Poésie verticale, n°17.


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Commentaires

3 réponses à « Si l’on t’interroge sur le monde »

  1. Avatar de laboucheaoreille

    Et quelqu’un est en train de naître. Les deux vont de pair.

    Aimé par 3 personnes

  2. Avatar de patchcath

    Deux décès annoncés dans la famille, proche et plus lointaine, et ce soleil qui brille, me nargue et en console d’autres, et des enfants naissent et s’annoncent aussi quelque soit le temps et le vent, alors la vie est belle quand même et malgré tout non !? ❤

    J’aime

    1. Avatar de Joséphine Lanesem

      Oui, belle malgré tout, je suis d’accord, et pour bien des raisons ! Vous êtes courageuse de continuer à le penser dans ces conditions.
      Laboucheàoreille a commenté dans le même sens que vous. Je ne sais pas si les naissances rachètent ou compensent les morts. D’un point de vue démographique, oui, c’est certain. Mais, dans l’épaisseur du vécu, l’équivalence entre les deux ne me semble pas si évidente. Ce qui est perdu est perdu sans retour ; et dans ce qui naît surgit une singularité au-delà de toute répétition.
      Ce poème m’émeut en ce qu’il exprime un memento mori collectif. Pour moi, la conscience de notre mortalité ne saurait être entamée par la naissance des autres, elle ne s’inscrit pas sur le même plan. J’ajoute que cela est heureux : je ne voudrais pas qu’une naissance rachète ma mort, je préfère lui laisser sa pureté de vie inentamée.

      Aimé par 1 personne

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