Du caractère

D’un trait de caractère, on peut dire tout et son contraire. Comme si le caractère était un relief ou une empreinte, où chaque creux est un plein et chaque plein un creux que seule la perspective déterminerait comme tels, faisant d’un trait un plus ou un moins, un défaut ou une qualité. Par exemple, la timidité peut être interprétée comme de la misanthropie ou de l’amour, de l’orgueil ou de la modestie, de l’attention ou de la distraction, de la sagesse ou de l’idiotie… Déjà, l’appeler timidité est l’interpréter, et l’interprétation en dit sûrement plus sur l’interprétant que sur l’interprété. Pourtant elle vise juste tout en manquant sa cible, parce que celle-ci est multiple et qu’on peut être à la fois idiot et sage, distrait et attentif, modeste et orgueilleux, et même timide et audacieux. Les contraires coexistent dans un caractère. L’analyse s’y perdrait dans un infiniment petit qui s’ouvrirait à l’improviste sur l’infiniment grand d’un ravissement ou d’un retournement. C’est ce qui me gêne dans ce travail sur le personnage en atelier : il faudrait, avant, réfléchir à ce qu’est une personne, à comment ça fonctionne, ou dysfonctionne. Le personnage… Mot qui m’a toujours déplu, réduisant la littérature à un bavardage, un commérage sur la personne – il est comme ci, il fait comme ça, qu’en pensez-vous, moi je vous dis que. C’est la personne qui m’intéresse. Ce quelqu’un qui est sa propre négation. Le personnage n’est qu’un cadre mouvant pour saisir son visage, sa main, son ombre… Qu’en pense le timide ? Sans doute qu’il est bien content qu’on ait cessé de l’examiner. Ne l’embarrassons pas davantage et tournons-nous vers la timidité des arbres, phénomène étonnant par lequel les cimes (ou les racines) de certaines espèces ne se mêlent pas et restent à une distance respectueuse, traçant des trajets de clarté dans la canopée des forêts – et le ciel devient une céramique ajourée, le vase près de briser d’une lumière trouble et turquoise. L’interprétation de la timidité est aussi hasardeuse dans le cas des arbres que dans celui des personnes. Leur mystérieuse configuration trouverait ses raisons dans l’évitement d’échanges gazeux ou de contaminations, l’optimisation de l’exposition à la lumière ou l’abrasion au balancement du vent. En tout cas, ils cherchent ainsi à survivre, ou du moins à mieux vivre, comme sans doute les timides parmi nous.

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© Dag Peak
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© Patrice 78500

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Commentaires

7 réponses à « Du caractère »

  1. Avatar de Frog

    Très intéressant et très juste Je pensais aussi que le travail sur le personnage me permettrait de mieux saisir ce qui se joue dans sa conception ou son avènement sur la page. Non. Je suis plus confuse encore. Aucun des textes produits pour les exercices ne m’ont rien appris du personnage même s’ils ont été instructifs autrement. Et ton billet fait venir à l’esprit la question de la vraisemblance qui travaille presque nécessairement l’auteur à un moment ou à un autre. Je crois que comme pr toi, le personnage ne se pose pas en ces termes pour moi. Il faut une efficacité dramatique, certes. Mais elle ne repose pas forcément sur la psychologie.

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    1. Avatar de Joséphine Lanesem

      La vraisemblance, vaste problème 🙂 Est-ce la vraisemblance qui fait croire à la réalité d’un personnage ? La vraisemblance peut aussi le tuer. Le rendre prévisible jusqu’à la transparence. Ces personnages qu’on pénètre et traverse sans encombre… Aucune expérience de l’altérité. Sans parler de la vie, où personne n’est vraisemblable. Mais il faut de la justesse, un ensemble accordé, dans ce sens-là la vraisemblance a un sens.

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      1. Avatar de Frog

        Entièrement d’accord. Cet ensemble accordé, c’est ce que je voulais désigner dans l’idée de l’efficacité dramatique. Il faut que « ça marche », aussi invraisemblable que le personnage puisse paraître à l’analyse.

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  2. Avatar de Aldor

    L’infinie capacité des choses à se retourner, oui, Ô combien ! Mais quelles étranges images que celles de ces arbres timides et réservés, n’empiétant pas et gardant leurs distances…

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    1. Avatar de Joséphine Lanesem

      Oui, tu décris à merveille ces retournements et ces inversions dans tes improvisations. Quant à moi, je m’y perds, ma vue n’est pas assez bonne. 🙂

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  3. Avatar de chachashire
    chachashire

    j’ai aimé particulièrement les prises de vue.

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    1. Avatar de Joséphine Lanesem

      Merci de votre visite ! Elle sont très belles, je suis d’accord, mais elles ne sont pas de moi comme l’indique le copyright, il y en plein d’autres sur le web.

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