D’un trait de caractère, on peut dire tout et son contraire. Comme si le caractère était un relief ou une empreinte, où chaque creux est un plein et chaque plein un creux que seule la perspective déterminerait comme tels, faisant d’un trait un plus ou un moins, un défaut ou une qualité. Par exemple, la timidité peut être interprétée comme de la misanthropie ou de l’amour, de l’orgueil ou de la modestie, de l’attention ou de la distraction, de la sagesse ou de l’idiotie… Déjà, l’appeler timidité est l’interpréter, et l’interprétation en dit sûrement plus sur l’interprétant que sur l’interprété. Pourtant elle vise juste tout en manquant sa cible, parce que celle-ci est multiple et qu’on peut être à la fois idiot et sage, distrait et attentif, modeste et orgueilleux, et même timide et audacieux. Les contraires coexistent dans un caractère. L’analyse s’y perdrait dans un infiniment petit qui s’ouvrirait à l’improviste sur l’infiniment grand d’un ravissement ou d’un retournement. C’est ce qui me gêne dans ce travail sur le personnage en atelier : il faudrait, avant, réfléchir à ce qu’est une personne, à comment ça fonctionne, ou dysfonctionne. Le personnage… Mot qui m’a toujours déplu, réduisant la littérature à un bavardage, un commérage sur la personne – il est comme ci, il fait comme ça, qu’en pensez-vous, moi je vous dis que. C’est la personne qui m’intéresse. Ce quelqu’un qui est sa propre négation. Le personnage n’est qu’un cadre mouvant pour saisir son visage, sa main, son ombre… Qu’en pense le timide ? Sans doute qu’il est bien content qu’on ait cessé de l’examiner. Ne l’embarrassons pas davantage et tournons-nous vers la timidité des arbres, phénomène étonnant par lequel les cimes (ou les racines) de certaines espèces ne se mêlent pas et restent à une distance respectueuse, traçant des trajets de clarté dans la canopée des forêts – et le ciel devient une céramique ajourée, le vase près de briser d’une lumière trouble et turquoise. L’interprétation de la timidité est aussi hasardeuse dans le cas des arbres que dans celui des personnes. Leur mystérieuse configuration trouverait ses raisons dans l’évitement d’échanges gazeux ou de contaminations, l’optimisation de l’exposition à la lumière ou l’abrasion au balancement du vent. En tout cas, ils cherchent ainsi à survivre, ou du moins à mieux vivre, comme sans doute les timides parmi nous.


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