La mélancolie sonne magnifiquement. C’est un cours d’eau abrité de saules pleureurs, charriant des fleurs effeuillées et des filles déflorées, des pétales et des visages en deuil. La violence est une violette, la mort un bleuet, la folie un bouton d’or. Les fées approchent, fascinées. Leurs ailes bruissent.
Le désespoir assèche ses syllabes. C’est une sagesse désertée de sa générosité. La vie y a la brièveté de ce qui tombe. Un épitaphe la résume sur la pierre qu’elle heurte. Cyprès et aphorismes poussent le long des allées. L’intelligence est à la fois le poids d’une tête et le vide d’un crâne.
La dépression n’appartient à personne. C’est un livre de psychologie décomposant l’effondrement de l’estime de soi en petites pierres froides et numérotées. Pour pouvoir le soigner, on fait du malheur une maladie, guidé par une foi démesurée et dérisoire, éminemment moderne, dans le progrès.
Ces mots ne disaient rien de ce qu’elle ressentait. Ils étaient terriblement en dessous du réel, la laissant démunie devant une souffrance qui n’avait pas de nom, comme si aucun homme ne l’avait vécue, comme si elle était inhumaine, et en effet elle déshumanisait. Il fallait leur dire, à eux, à tous, ou juste à celui qui décidait des mots, que ce malheur était une douleur plus charnelle que la chair et plus immatérielle que l’âme, irradiant, désintégrant, tout, jusqu’à la douleur même. Mais elle se refusait à parler. Le piétinement patient des mots menus et molletonnés, leur son mat presque muet sur le pavé de la pensée, leur vêtement en grisaille, leur murmure qui se distingue à peine du souffle, ah cette paix de la parole qui tourne, tourne autour de ce qui veut se dire, sans jamais le toucher, n’espérant qu’un effleurement, ah cette délicatesse, cette virtuosité, ce saint détachement. Elle n’en voulait pas. C’était lent, pénible, inutile. Elle aurait voulu seulement ouvrir la bouche et laisser voir le sable qui submergeait ses larmes, la terre qui pourrissait son âme. Et que l’autre qui disait l’écouter se taise enfin. Qu’il comprenne que le malheur on n’en discute pas, qu’on n’a pas un avis sur le sujet, qu’on ne dit pas c’est comme moi, que ça ne se partage pas.
Diagnostic
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Commentaires
18 réponses à « Diagnostic »
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Oh… quelle justesse… Je suis soufflée par cette description du désespoir. En plein dans le mille…
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Vlan ! c’est dit.
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Oui 😉
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Cette matérialité du malheur, aussi, sable, terre, pesanteur, inconvertible en langage, et qui pourtant doit pouvoir être à toute force convertie en mots, entreprise impossible.
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Je l’ai écrit il y a longtemps. Ton billet d’hier soir et ses commentaires m’y ont fait penser. Pour ne pas te laisser seule dans le noir.
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Je t’admire de poster, d’exposer directement ce que tu ressens. J’ai besoin d’un décalage pour me protéger, pour que ce que j’écris ne soit plus ma chair.
Dans ce cas-ci, sur le moment, toute réponse aurait été une brûlure.J’aimeAimé par 1 personne
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J’ai senti que ce texte venait de plus loin que de maintenant. Je te remercie de m’accompagner… Merci.
Au sujet de la publication du texte, j’ai peut-être eu tort, hier soir, je me le suis dit. Que le blog n’est pas un journal intime, que je tombais dans l’exhibitionnisme qui me fait en théorie horreur (comme tu disais hier, n’ayons pas peur des contradictions !). Et puis je l’ai fait quand même, probablement pour que tu me lises, et puis parce qu’après tout, je ne suis personne, on s’en fout, ce ne sont que des mots aux yeux des lecteurs. Et un jour, si l’un s’y reconnaît, et se sent un peu moins seul, hein, on ne sait jamais. Et enfin un peu par provoc, comme une ado.
Je ne sais pas si j’ai eu raison, mais je suis très reconnaissante des lectures amies.J’aimeAimé par 2 personnes
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Tu as eu raison de le publier : 1) c’est l’un des plus beaux textes de ton blog, de tous les blogs, ça déchire l’esprit primesautier de ces lieux de passage où, comme dans tout lieu public, il y a une part non négligeable de paraître. Le blog n’est en pas en soi. Il est ce qu’on est fait. Et si tous étaient ce que tu en fais… 2) si tu n’avais pas écrit dans l’idée d’être lue, par moi, par d’autres, emportée par une sorte de provocation, peut-être ne serais-tu pas allée aussi loin et aussi fort. Il y a des écrits qui crient aux quatre vents. Il n’ont pas leur place dans un journal. Et il est de ceux-là.
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Oui, tu passes par le décalage ou le détour, et en dehors des raisons que tu invoques, je trouve aussi cela plus élégant. Justement, pas d’exhibitionnisme.
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… pas d’exhibitionnisme mais pas non plus de compromission, tu dis les choses avec ton habituelle précision, exactitude, ton écriture tellement en-plein-dans-le-mille qu’on se demande si ce qu’on a vécu n’était pas simplement une version dégradée de ce que tu as écrit.
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« ton écriture tellement en-plein-dans-le-mille qu’on se demande si ce qu’on a vécu n’était pas simplement une version dégradée de ce que tu as écrit. »
dans le mille, aussi, là !J’aimeAimé par 3 personnes
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Oh là là, merci 🙂 que dire… La vie avance voilée, l’écriture la dévoile, sans elle la vie n’aurait ni visage, ni vision.
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C’est plus que beau, je ne dis rien, j’aurais trop peur d’abîmer l’essence (ou le sens ?) même de tes mots…
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Merci Asphodèle, je suis touchée… Il y a des silences qui disent beaucoup.
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Comme un long étouffement.
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Ce que je retiendrai de ce texte, au delà de ce que cela m’évoque dans la douleur, c’est l’impuissance ressentie à soulager lorsque ceux qu’on aime souffrent…
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Silence épais du désespoir… c’est si beau d’exactitude!
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Merci 🙂 C’est difficile pour moi de répondre aux commentaires sur ce texte. Mais je lis tous avec attention.
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