Que ma joie demeure

Que ma joie demeure de Jean Giono est un livre cosmique, Bible et Babel à la fois. Je me souviens de sa lecture comme d’un éblouissement. J’en mets ici quelques éclats.

« C’était une nuit extraordinaire.
Il y avait eu du vent, il avait cessé, et les étoiles avaient éclaté comme de l’herbe. Elles étaient en touffes avec des racines d’or, épanouies, enfoncées dans les ténèbres et qui soulevaient des mottes luisantes de nuit.
(…)
Il y avait tant de lumière qu’on voyait le monde dans sa vraie vérité, non plus décharné de jour mais engraissé d’ombre et d’une couleur bien plus fine. L’œil s’en réjouissait. L’apparence des choses n’avait plus de cruauté mais tout racontait une histoire, tout parlait doucement aux sens. »

« Alors le cerf dansa pour lui-même. Il était sur une lande nue. Il se sentait triste en se souvenant du cheval. Il levait les jambes l’une après l’autre. Il baissait la tête, il la relevait. Il éternuait. Il était triste. La lande nue, le printemps, pas de femelles, le cheval, le vieil homme, le jeune homme qui arrosait.
Il dansa le vieil homme, il dansa le jeune homme aux yeux paisibles. Il dansa le cheval malheureux et le cerf malheureux. Il dansa la lande. Il dansa son désir de printemps. Il dansa la brume et le ciel. Il dansa toutes les odeurs, et tout ce qu’il voyait, et tout ce qui était sensible à ses yeux, à ses oreilles, à ses narines et à sa peau. Il dansa le monde qui était ainsi entré en lui. Il dansa ce qu’il aurait dansé s’il avait été joyeux. Et il redevint joyeux. »

« Il sentait à ce moment-là la petite main dans sa main. Elle était chaude et lisse. La peau un peu molle. Les doigts craquants et tendres comme les petites branches des aulnes. Il regarda la main, le poignet, le bras, l’épaule, puis le visage.
Elle avait des yeux violets et laiteux et le bord des paupières était d’une pureté de sable.
« D’habitude, dit-elle, on ne m’aime pas.
— Pourquoi dire d’habitude ? Car, continua-t-il, en recommençant à balancer la petite main, si un ne vous aime pas, si deux, si trois, si cinquante ne vous aiment pas, celui qui arrivera après les cinquante trouvera peut-être des raisons de vous aimer, et quand vous vous en irez avec lui sur les chemins vous ne penserez plus aux ingrats, mais à lui seul, et vous direz : d’habitude, on m’aime.
— Je ne sais pas, dit-elle. Quand vous parlez longtemps, on vous comprend moins. »

D’autres livres de lui m’ont bouleversée : Le poids du cielNaissance de l’Odyssée… Je ne suis pas arrivée à entrer dans certains, comme Les Âmes fortes. On réduit souvent Giono à un écrivain régionaliste alors qu’il est exactement l’inverse, l’écrivain absolu – il n’y a pas de joie, d’herbe, de peine et d’étoile qu’il ne sache chanter. Et les animaux, comme il les anime… J’en reste émerveillée.
Dans ce livre il pose la question fondamentale : comment et si la poésie peut changer la vie, pas seulement la vie individuelle, intérieure, mais la vie sociale, politique. C’est l’histoire de ses pouvoirs et de son impuissance, de ses illuminations et de son désastre.

Les mots de Giono, je les lis et c’est comme si un dieu empruntait ma voix pour réciter la formule de ma métamorphose.

gionojoie

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