La polémique autour de l’écriture inclusive semble ne jamais finir. J’ai déjà donné mon avis, je le complète ici.
L’écriture inclusive m’exclut. Elle me fait croire que je ne suis pas comprise dans le « bonjour à tous » ou le « tout un chacun » et que des expressions comme « distinguer le vrai du faux » portent atteinte à mon existence. Elle me ramène à tout sujet, à tout propos à mon être-femme au lieu de mon être-humain. Je tiens au neutre et l’histoire fait qu’il est masculin. Je n’irai pas déraciner la langue sous peine de perdre ses fruits.
Les adeptes de ces procédés restent obstinément sourds à la sagesse animiste de notre langue qui genre jusqu’aux astres. Poésie qui personnifie chaque élément du monde, puissance mythique prête à éclore au moindre accord. Rien n’est neutre, tout est animé. Les choses ont le droit au il et au elle autant que les êtres. La fourchette et le couteau vivent leur romance depuis longtemps.
Voici, rivée entre des piquets, la plus aérienne et vibratile de nos voyelles : le e muet. Désespérée de s’échapper, elle ne sait plus chanter. Ce n’est pas un hasard si l’écriture inclusive se démarque par sa laideur : elle se définit par le manque d’harmonie. Manque de rythme, d’entrain, d’allant. Manque de vie.
Ces déformations donnent une langue sans âme, mais aussi privée de chair : elle devient une convention administrative qui oblitère la personne. Dans la réalité, il n’y a pas d’être mi homme mi femme ou ni homme ni femme, mais des hommes et des femmes, distincts les uns des autres, ce qui a été transposé à chaque mot du français sous forme du féminin et du masculin, au point que le neutre n’existe même pas. La mixité des accords, noms et pronoms est une abstraction qui dissout la matérialité au cœur du langage.
Cependant, il est vrai que la langue généralise, trahissant notre singularité. Certains se réclament ainsi du nouvel iel, parce qu’ils ne se sentent pas plus homme que femme. Si un pronom doit rendre toutes les nuances de ce que nous sommes, je souhaite dans ce cas qu’on m’applique le pluriel : j’ai plusieurs personnalités et je voudrais qu’elles soient toutes représentées. Mais je ne peux pas le demander : le langage ne m’appartient pas. Il est notre lieu commun dont les règles ne dépendent pas de mon désir.
La première des politesses consiste à respecter cet espace commun en se pliant à ses usages, sans imposer ses opinions politiques dans le moindre échange quotidien. Je ressens, peut-être à tort, une pression dans cette pratique : en utilisant les néologismes inclusifs, on demande à son interlocuteur de les déchiffrer et donc de les intégrer, malgré lui, à sa pensée.
Mais je ne perdrai pas plus de temps à argumenter. Cela disparaîtra sans qu’on ait besoin de lever le petit doigt. La langue est spontanée comme le souffle et la marche, l’écriture reproduit sa fluidité qui est celle du sang et de la pensée. Toutes ces préciosités ne résisteront pas au flot de notre créativité et au poids de la chair.
Note : La belle image du e entre piquets est empruntée à Quyên Lavan.
Répondre à toutloperaoupresque655890715 Annuler la réponse.