L’on m’a reproché d’interpréter les sentiments d’Ellen-Elliot Page à sa place. Il m’est tout à fait indifférent qu’elle soit trans. Que chacun vive comme il le souhaite. Je ne doute pas non plus de sa souffrance, je perçois chez elle une fragilité extrême. Cependant, elle fournit des raisons sexistes à sa transition et, par sa position d’exemplarité, elle incite des jeunes filles à croire que leur corps est le problème et non les prescriptions que lui impose la société. De plus, elle cautionne une idéologie qui porte atteinte aux droits des femmes et des enfants, ainsi qu’à la liberté de parole et de pensée. Cette idéologie ne représente pas tous les transsexuels et ne concerne pas les intersexuels. Invention récente issue de la théorie queer, sorte de religion du genre, elle se compose d’un certain nombre de dogmes : le sexe ne réside pas dans la biologie mais dans le ressenti ; il ne nous situe pas dans la binarité mâle/femelle mais sur un spectre de nuances qui va de l’ultra féminin à l’ultra masculin ; certains esprits se trouvent dans un mauvais corps, mais l’intervention chirurgicale et la médication quotidienne en fera le bon corps ; etc.
L’actrice ne fait pas ces déclarations dans un cabinet de psy, mais dans une interview largement diffusée, où son interlocutrice ne la remet pas une seule fois en question et surveille ses moindres formulations, inquiète d’un faux pas qui pourrait lui valoir sa carrière – une délicatesse que personne n’adopte envers Keira Bell, détransitionneuse critique du genre. Rien n’obligeait Page à prendre position. Toute déclaration publique s’expose à la réfutation. Lui répondre ne comporte aucune violence, d’autant qu’elle ne me lira sans doute jamais.
De nombreux trans ne se reconnaissent pas dans la nouvelle religion du genre : ils déplorent entre autres la prescription des bloqueurs de puberté aux mineurs, l’abolition de la thérapie avant la transition, l’effacement de la différence des sexes dans tous les domaines, la dénégation de la biologie, le chantage au suicide fait aux parents et l’impossibilité de débattre de ces sujets. Page milite au contraire dans ce sens en toute bonne conscience. Et je devrais me taire pour respecter son ressenti ? Le racisme aussi est un ressenti. Les incels, célibataires involontaires qui s’organisent pour agresser voire assassiner des femmes, souffrent de l’humiliation et de la frustration. Et alors ? Depuis quand la souffrance confère une auréole d’intouchabilité ? Et depuis quand les trans souffriraient plus que tout le reste de l’humanité ? Petite mise au point : au Royaume-Uni, les hommes transidentifiés (autrement dit, les femmes trans) représentent la catégorie la plus préservée de violences, ils ont par contre des taux de criminalité égaux à ceux des autres hommes, donc bien plus hauts que les femmes.
Nous souffrons tous et je ne vais pas évaluer la souffrance de chacun pour donner à sa parole plus ou moins d’autorité. Tout au contraire. À son paroxysme, la souffrance rend fou. Elle nous fait perdre tous nos moyens. C’est une pure irrationalité que nous rationalisons avec les systèmes que nous trouvons à notre disposition, sans avoir les moyens de vérifier leur pertinence. Elle n’est donc ni un critère de savoir, permettant de distinguer le vrai du faux, ni une garantie d’intégrité, nous rangeant nécessairement dans le camp du bien. Aujourd’hui, elle sert même à se soustraire habilement à ces jugements. Tout est permis à celui qui souffre, nous ne pouvons rien lui reprocher et le contredire devient le pire des outrages. Le ressenti fait loi. La réalité est une cruauté qu’on ne saurait rappeler.
Et les suicidaires ? Je devrais me taire lorsqu’ils disent qu’ils ne méritent pas de vivre, ou que la vie ne leur réserve plus qu’une interminable torture ? Leur vie a autant de valeur que les autres et ce n’est pas la vie qu’ils détestent, mais celle qu’ils sont contraints de vivre. On peut écouter, compatir, comprendre, sans adhérer au discours qui rationalise l’irrationnel, sans cautionner toutes les illusions et les délires. La compassion à peu de frais qui consiste à confirmer et se détourner aussitôt se dispense de la tâche morale de la compréhension véritable. Elle n’amorce aucun dialogue, afin de démêler dans le magma de nos émotions la forme de notre singularité, mais adopte une position de confort intellectuel et éthique, en ne se souciant que de sa propre image (paraître tolérant et ouvert d’esprit) et non de la vérité de l’autre et de tous ceux qu’il impacte.
De quel ressenti parle-t-on ici ? Celui du genre. Dans ce domaine, chacun a son histoire, y compris ceux qui n’opèrent pas de changement de genre. Il est impossible de couvrir toutes les raisons de la transition, mais des tendances se dégagent, que j’ai déjà exposées ici et je ne prétends pas être spécialiste, ni donner le dernier mot sur la question. Mes lectures m’amènent aux conclusions suivantes. Le genre est à la fois inné et acquis, comme tous les traits de notre tempérament. Le décalage marqué entre genre et sexe est corrélé à l’orientation sexuelle. Lorsqu’il devient une dysphorie grave, il dérive de troubles de la perception corporelle, qui renvoient souvent à des singularités psychiques ou une histoire de traumas sexuels. Toutefois, la transition ne vient pas toujours d’une souffrance. Elle exprime aussi un érotisme, principalement chez les hommes et parmi les transactivistes : l’autogynéphilie, le fait d’être attiré par soi-même en tant que femme, celle-ci étant considérée comme désirable parce que dominée et objectivée, ce que met en scène le sissy porn, très en vogue ces derniers temps. Je vous épargne les images et fournis quelques citations :
« Getting fucked makes you female because fucked is what female is », écrit élégamment Andrea Long Chu, femme trans, dans Females. Un auteur qui intervient dans les universités américaines (Vassar, Berkeley, UCLA), celles-ci célèbrent en lui le renouveau des trans studies. Il ajoute : « Pornography is what it feels like when you think you have an object but really the object has you. It is therefore a quintessential expression of femaleness. » (Je ne traduis pas, j’ai déjà du mal à transcrire ces inepties ici). Autres témoignages : « There is something about being treated like shit by men that feels like affirmation itself, like a cry of delight from the deepest cavern of my breast… To be the victim of honest, undisguised sexism possesses an exhilarating vitality. » (Grace Lavery) ; « Women around the world have been treated as sexual objects. Yet if sexual objectification is so categorically awful, then why do they want it so badly ? I want to be sexually objectified. » (Jacob Tobia).
Que pensez-vous de ce ressenti ? Je dois le respecter même s’il insulte tout ce que je suis ? Et mon ressenti alors ? Vous voyez qu’on ne s’en sort pas avec les ressentis, les how I feel, you hurt my feelings, it’s offensive, etc. Les feelings sont le nouveau fascisme à la mode. En leur nom, des hommes prétendent être de meilleures femmes que les femmes, parce qu’ils font plus d’efforts pour l’être, se peignent mieux les ongles ou le visage ou se prêtent plus volontiers à l’objectivation sexuelle. Ils nous appellent cis, menstruators, birthing parents pour faire d’un fantasme masculin de la féminité, typiquement représenté par la pornographie, la définition de la femme. Pendant ce temps, aucune femme n’a le droit de s’insurger, ce serait de la transphobie.
Il est tout simplement faux que tous les trans souffrent terriblement, qu’ils sont tous des victimes d’inénarrables violences. Ils comptent parmi eux ces hommes favorisés sous tous rapports et profondément misogynes, qui ont décidé dernièrement que le féminisme devait être leur affaire. Je ne suis pas transphobe, parce que je sais qu’ils ne représentent pas tous les trans, ni même tous les autogynéphiles. Cependant, je ne les considère pas non plus comme des femmes : ce sont des hommes à la sexualité atypique, et ils en ont le droit tant qu’ils n’empiètent pas sur les droits des autres.
Pour finir, quelques citations de Genevieve Gluck, afin de déchiffrer le langage orwellien qu’ils pratiquent.
By woman they mean man, and by progressive they mean regressive. By gender they mean stereotype, and by queer they mean straight. By cis privilege they mean sex oppression, by living the truth they mean living a lie, and by acceptance, they mean submission.
By dead name, they mean birth name. By violence, they mean boundaries. By erasure, they mean being ignored. By oppression, they mean women saying no. By woman, they mean submissive. By rights they mean entitlement, and by misgendering, they mean accurately naming sex.
They’re reported and recorded as « trans women » when they are the victims; reported and recorded as « women » when they’re the perpetrators. This conceals predatory and violent behavior and allows a false claim of perpetual victimhood.
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