Maya Forstater est jugée en ce moment au Royaume-Uni pour avoir affirmé : une femme est une femme. Autrement dit, aucun homme n’est une femme. Licenciée à la suite de cette affirmation, elle a poursuivi son employeur et s’est vue condamnée par le juge : selon lui, ses opinions étaient irrecevables en démocratie. Faisant appel de la décision, elle nous demande de prendre position, quelle que soit cette position, d’informer de sa situation qui nous concerne tous, même ceux qui ne s’intéressent pas aux débats sur les sexes et les sexualités, puisqu’il est question ici de notre liberté de pensée et de parole. Sans surprise, son procès est très peu médiatisé, même parmi les médias soi-disant féministes. Bien que j’aie déjà exposé les faits et surtout les méfaits de l’idéologie du genre, qui prétend (affirmations contradictoires, mais nous sommes ici dans le délire) que le sexe n’existe pas, qu’il est non binaire ou qu’on peut en changer, je vais reprendre brièvement le débat pour exprimer mon soutien.
Ainsi, la femme ne désigne plus seulement les femmes, mais aussi des hommes qui s’identifient femmes, donc une chose et son contraire et finalement rien du tout. De même, tous les mots genrés comprennent le genre opposé et perdent ainsi leur sens : mâle et femelle, mère et père, fils et fille, hétéro et homosexuel, etc. On en invente de nouveaux, non genrés, comme menstruator ou birthing parent. Contorsions déjà comiques en anglais, mais qui dans notre langue genrée confinent au grotesque : dirons-nous menstrueuses au lieu de femmes ? Non, parce que certaines peuvent s’identifier hommes. Donc menstrueurs. Mais les femmes qui s’identifient femmes se trouvent ainsi invisibilisées. Donc menstrueur.se. s. Mais les femmes qui ne s’identifient ni hommes ni femmes, alors ? Donc, mentrueur.se. x. s. Mais les trans jugent à présent que le x censé les représenter est transphobe en ce qu’il les exclut de la féminité. Donc, avec ou sans x ? Je rappelle à ces bien-pensants que le langage ne leur appartient pas : il est notre lieu commun, où nous pouvons nous rencontrer, échanger, partager la réalité. Qu’ils arrêtent d’en faire leur terrain personnel où jouer à la petite terreur.
Revenons à Maya Forstater. En apparence, son cas oppose les droits des trans aux droits des femmes. Dès l’abord, cette situation éveille le soupçon : pourquoi les droits des trans devraient menacer les droits des femmes ? Si nous partons du fait irréfutable qu’il y a deux sexes, qui pourrait vouloir menacer les femmes si ce n’est des hommes ? Vous remarquerez que ceux-ci ne sont pas menacés. Je n’ai encore vu personne les qualifier de pénissophores.
Quant aux trans, en quoi seraient-ils menacés ? Les féministes ne leur interdisent pas la transition, elles ne les empêchent pas non plus d’exercer un métier, de se marier, d’avoir des enfants, elles n’appellent à aucune violence à leur égard. Elles soutiennent seulement : un homme n’est pas une femme. Il peut vivre en tant que femme, adopter le genre de la femme, la féminité, être donc un homme aussi féminin qu’il le souhaite. Cela ne fait pas de lui une femme. De même, aucune femme n’est un homme. Les féministes réfutent ainsi que les trans incarnent le sexe auquel ils s’identifient, mais elles ne nient pas leur humanité et ne les privent donc d’aucun des droits fondamentaux – éducation, santé, sécurité, liberté, etc.
Par exemple, demander que le sport féminin reste réservé aux femmes n’interdit pas aux trans d’exercer un sport : nous pouvons inventer une nouvelle catégorie réservée aux trans, mais les activistes refusent une telle mesure. De même, au Canada, ils contraignent à la fermeture des refuges réservés aux femmes victimes de violence, par des campagnes de diffamation ou en les privant de leurs fonds. Cependant, il existe des refuges réservés aux trans et cette exclusivité ne fait l’objet d’aucune critique de la part des féministes.
La position de celles-ci exprime la simple vérité. Notre sexe n’est pas qu’une question d’organes et d’attributs. Il signe chacune de nos cellules. Il nous détermine autant physiquement que psychologiquement. La différence indéniable entre les sexes conditionne nos comportements et modèle les sociétés. Elle est un fait de nature et non de culture, une réalité que notre désir ne saurait faire plier. Ou doit-on demander au taureau s’il se sent vache et revoir toute notre biologie ?
Les transactivistes essayent d’interdire de penser par tous les moyens. Ils intimident l’interlocuteur en brandissant des mantras (transwomen are women, transrights are human rights), accusent de transphobie à tour de bras, font du chantage au suicide, racontent des histoires fantasques de cerveau de femme dans un corps d’homme, montrent un pauvre petit garçon qui ne peut pas mettre de robe.
Aucune de leurs affirmations n’est justifiée. Il n’existe pas de cerveau dissocié de son corps. Par contre, la divergence neurologique (mineure, mais réelle) entre hommes et femmes ne cesse d’être confirmée, ce qui creuse la différence qu’ils tentent de brouiller ou d’effacer. Leur rhétorique tragique met également en danger les personnes vulnérables et influençables. Leur revendication du suicide devient une incitation au suicide. Elle ne s’appuie d’autre part sur aucune étude.
Venons-en aux enfants. De nouveau, soupçon. Pourquoi cette obsession avec les enfants ? Ils ne cessent de s’en réclamer, les mettent en scène dans des films et des documentaires et cherchent à les soustraire à l’autorité parentale. Qui parlait d’enfants trans il y a dix ou vingt ans ? Personne. Aucun enfant n’était né dans un mauvais corps et s’il manifestait un fort rejet de son corps, on s’interrogeait à juste titre sur ce que ce rejet cachait, sans incriminer le corps en question.
La transition sociale est plus grave qu’on ne le croit. Plus elle commence jeune, plus il est difficile de l’inverser. L’identification par les autres joue un rôle décisif dans la construction de soi. Elle mène presque toujours à la transition physique. Or l’on ment à ces enfants : on ne peut pas changer de sexe. La médecine n’en est pas là et n’y sera sans doute jamais. Tous ces traitements sont expérimentaux, dangereux et coûteux (ce qui doit être pris en compte, puisqu’ils ne sont pas toujours ni partout pris en charge par l’État, donc une aliénation supplémentaire, économique). Parfois, la transition devra être interrompue pour des raisons de santé. La détransition est très peu connue elle aussi et encore moins encadrée médicalement que la transition. Celle-ci devrait être le dernier recours – et non la première solution, la plus facile sur le court terme, la plus dévastatrice sur le long terme.
La dysphorie de genre, le fait de ne pas se reconnaître dans le genre associé à son sexe (donc dans la féminité pour une femme et la masculinité pour un homme), nous la connaissons tous, mais elle atteint chez certains une telle acuité qu’elle devient invivable. Elle peut être prévenue par une éducation non genrée (que les petits garçons mettent des robes s’ils le souhaitent) et une critique des normes sociales, résolue par la découverte du désir ou de modèles de non-conformité, ou encore soulagée par la thérapie. Autant de moyens que préconisent les féministes, tandis que le transgenrisme aggrave la dysphorie en lui donnant raison. Il professe à la fille masculine : oui, en effet, tu n’es pas une femme, ou au garçon féminin : c’est que tu n’es pas un homme. Belle manière de répondre à nos insécurités.
Objets constants de luttes politiques, instrumentalisés par les activistes, puis par les résistants à l’activisme, que deviendront ces enfants ? Obligés d’adhérer à la religion du genre, à moins de perdre tout ce qui fait leur identité, mais cette adhésion repose sur la négation de soi la plus radicale, celle de son incarnation, et peut difficilement mener à une vie épanouie.
Sur ce sujet, ce ne sont pas les féministes, mais les transactivistes qui doivent se justifier. Pourquoi les droits des trans menacent les droits des enfants ? Qui voudrait les menacer selon vous ? Dernièrement, à l’ONU, l’organisation internationale IGLA, qui représente de nombreuses associations de défense des droits LGBT+, demandait de baisser l’âge du consentement sexuel et d’encourager la libération sexuelle des adolescents. Comment expliquer de telles prises de position ? Et quel rapport avec la transidentité ? À moins que la transidentité ne dissimule tout autre chose. Et c’est loin d’être le seul exemple de sexualisation et même d’hypersexualisation des enfants dans l’idéologie transgenre.
Ici ne s’opposent pas les femmes d’un côté et les trans de l’autre, mais d’un côté des hommes et des femmes, certains transidentifiés, qui ont compris que l’activisme transgenriste ne s’occupait pas de la défense des droits des trans, mais servait d’autres intérêts et détruisait consciemment les droits des femmes et des enfants, de l’autre des hommes, mais aussi des femmes, notamment les féministes queer, et toute personne qui se veut ouverte d’esprit, mais ignore la réalité de cet activisme.
Un interdit de parole pose un interdit de pensée, il nous contraint à mentir et dissimuler, à censurer nos gestes et notre perception, il entretient à dessein une zone indistincte, où aucune limite ne peut être posée. Ainsi, de plus en plus de crimes sexuels sont reportés par la presse comme s’ils étaient commis par des femmes, alors qu’ils le sont par des hommes identifiés femmes. Cette narration laisse croire aux femmes que le danger pourrait venir autant des femmes que des hommes, ce qui n’est pas vrai. À qui profitent ces zones indistinctes, ces non-lieux, ces non-dits ?
La question n’est pas si les trans doivent ou non exister – bien sûr qu’ils existent – mais : un homme peut-il être une femme ? Faites le vide un instant. Oubliez votre école politique qui vous dicte quoi penser et menace de vous ostraciser. Le principal obstacle à la politique, c’est la politisation. Mettez-vous seul face à vous-mêmes en toute transparence et non face à un trans que vous voudriez éviter de blesser. Si on vous demandait la vérité ou la vie, que diriez-vous ? Eh bien, cette vérité, à présent, ne peut plus se dire.
Paradoxalement, plus les transactivistes insistent sur la nécessité de valider leur identité, par des noms, des pronoms, des accords, plus ils révèlent sa facticité. Si une identité est réelle, elle ne requiert aucun artifice de langage ou d’image pour exister, elle ne repose pas sur la confirmation de l’État ou de la communauté, le retour de notre miroir ou du regard d’autrui. Elle est, un point, c’est tout. L’État peut bien décider de changer mon sexe sur mon passeport ou même mon acte de naissance, un passant me prendre pour un homme, quelqu’un m’appeler monsieur, je reste femme, entièrement. Pas une once de mon être ne saurait être entamée par ces mesures ou ces erreurs. Moi-même, je n’ai pas d’emprise sur mon sexe, je ne peux le réduire par aucun subterfuge. Que je sois plus ou moins féminine ne me rend pas plus ou moins femme. Je le suis, quoi que je fasse, pense ou ressente et, à l’inverse, je n’ai rien à faire, penser ou ressentir pour l’être. Est-ce cruel de le dire ? Je ne le crois pas. C’est en refusant la réalité que nous entretenons la souffrance.
L’idéologie du genre est décrite outre-Atlantique comme le QAnon de la gauche, une vogue tout aussi délirante et délétère, mais qui cause bien plus de mal et rallie bien plus de gens. Beaucoup estiment que le mouvement retombera de lui-même, qu’il ne sert à rien de prendre position et de s’exposer aux représailles. Ses préceptes sont stupides, ses ravages évidents, cela ne durera pas, laissons le temps faire son œuvre. Mais entre-temps, combien d’abus, de violences, de maltraitances ? C’est pour cet entre-temps que je prends la parole.
Mes précédents articles sur la question : Sur les traces de J. K. Rowling ; C’est quoi, le genre ? ; La fin du genre ; Prendre la mesure de la démesure ; Retour à la réalité ; De la nécessité du féminisme.

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