Vivre en écrivant

En écriture, un conseil courant : multiplier les expériences et en tirer profit. Vivre toutes sortes de sensations et de situations, noter ce qui nous traverse dans des carnets matériels ou immatériels et, pour l’œuvre finale, reprendre cette matière brute, la travailler, l’agencer.

Directive qui m’a toujours profondément dérangée, comme si elle pervertissait, ou même, osons le mot, profanait ce qu’il y a pour moi de plus intime et intouchable dans l’écriture et dans la vie : ce point précisément où elles se rencontrent, où elles ouvrent l’une sur l’autre.

La vie mise au service de l’écriture, considérée comme un moyen de faire œuvre, voici la manière la plus sûre de passer à côté de la vie comme de l’écriture.

La vie ne sert pas à nourrir l’écriture, c’est l’écriture qui sert à rendre la vie comestible. D’une peine elle fait un pain, d’une joie une fontaine.

L’écriture est le seuil de la vraie vie, mais si cette vraie vie est ensuite détournée, exploitée pour écrire toujours davantage dans l’idée de bâtir je ne sais quel édifice, la porte se referme.

L’écriture ne transmet pas l’expérience, elle l’atteint au cœur d’une pointe et réchauffe nos mains à son sang.

Il suffit de peu d’expérience. Il suffit d’une seule expérience. Il ne faut pas la vivre pour l’écrire, il faut écrire pour la vivre.

Dans l’écriture est la plénitude de la vie, mais on ne le comprend qu’en renonçant à remplir l’écriture de notre vie.


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Commentaires

17 réponses à « Vivre en écrivant »

  1. Avatar de laboucheaoreille

    D’un autre côté, beaucoup de personnes ont déjà éprouvé la plénitude de la vie sans jamais écrire. Certains l’éprouvent en étant amoureux, en faisant des maths ou du jardinage. L’écriture n’est pas l’alpha et l’oméga du monde entier, et heureusement.

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    1. Avatar de Joséphine Lanesem

      Oui, je ne l’ai jamais mis en doute ! Mon article parle du rapport entre expérience et écriture, de ne pas asservir l’expérience à l’écriture et de la capacité de l’écriture à desceller, déplier l’expérience. Qu’on ressente une plénitude de la vie autre part, autrement, c’est évident.

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      1. Avatar de laboucheaoreille

        Mon commentaire répondait surtout à votre dernière phrase « dans l’écriture est la plénitude de la vie (…) ». Vous sembliez dire que la vie devait nécessairement passer par le filtre de l’écriture pour atteindre sa plénitude.
        Mais j’ai dû mal comprendre votre propos !

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        1. Avatar de Joséphine Lanesem

          Je suis désolée ! J’ai répondu un peu vivement, je m’en rends compte après coup. Parfois on partage sur le blog des pensées plus intimes qu’on ne le croit et les réponses blessent plus qu’il ne faudrait.
          Pour la phrase en question, j’utilise, sans doute à mauvais escient, un présent de vérité générale et l’article défini, donnant un tour de maxime à la phrase, parce qu’il m’est encore difficile d’articuler l’intuition que j’expose ici en un raisonnement, mais je ne veux pas généraliser l’écriture comme mode d’accès au monde, et on peut lui substituer tout autre art ou pratique. Pour moi, la généralité de la maxime est une manière de dire, une sorte d’efficacité stylistique mais qui ne prétend pas à l’universel.
          Encore désolée !

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          1. Avatar de laboucheaoreille

            Pas de problème 🙂
            J’ai bien compris votre point de vue.
            De même qu’un peintre dira volontiers « sans peinture, la vie n’est rien », un écrivain dira la même chose de l’écriture… quand on est passionné, on dit ce genre de choses. Et c’est très beau d’être passionné 🙂

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  2. Avatar de iotop

    Bon jour,
    J’aime beaucoup :  » … l’écriture qui sert à rendre la vie comestible … » 🙂
    Max-Louis

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  3. Avatar de Frog

    Il me semble t’entendre de l’intérieur, à l’intérieur, tant j’épouse ton propos. Nous disons écriture, mais toute forme d’art peut agir de même (du moins d’autres formes d’art, sinon toutes, car je pense que le langage tient une place à part en nous, une place qui est au coeur de notre condition humaine). « Il suffit de peu d’expérience. Il suffit d’une seule expérience. Il ne faut pas la vivre pour l’écrire, il faut écrire pour la vivre. » Je te rejoins entièrement. Quant à « l’oeuvre finale », hahaha.

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    1. Avatar de Joséphine Lanesem

      Et je t’avais en tête en l’écrivant. Aujourd’hui, j’ai commencé à travailler dans une roseraie, et je me disais quel beau sujet d’écriture, mais ce n’est pas un sujet d’écriture, justement, c’est plutôt l’écriture qui serait l’objet de la roseraie (distinction douteuse, celle entre sujet et objet). L’écriture me permettra d’explorer la roseraie, mais non d’en rendre compte. La nuance peut échapper au lecteur, mais je pense que lorsqu’on écrit, on la perçoit et elle est décisive.

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      1. Avatar de Frog

        Moi non plus je n’arrive pas toujours à savoir ce qui dans une relation doit être considéré objet ou sujet. Quelle différence par exemple entre le sujet et l’objet d’une conversation ? Cela dit je crois comprendre ce que tu veux dire. Si c’était moi, la roseraie serait la condition de l’écriture, laquelle serait informée par sa présence. Par l’écriture, nous n’entrons pas en possession de la roseraie, nous l’invitons plutôt à s’installer en nous. D’ailleurs je suis incapable d’emmagasiner les expériences et de les ressortir pour en faire des textes.

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  4. Avatar de toutloperaoupresque655890715

    La vie ne sert pas à nourrir l’écriture, c’est l’écriture qui sert à rendre la vie comestible.
    Très belle phrase sur l’écriture (et accessoirement sur la poésie 😉).
    Bonne journée, Joséphine.

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    1. Avatar de Joséphine Lanesem

      Merci de votre passage, excusez la réponse tardive, la vie est parfois dévorante 😉

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  5. Avatar de emotionsdefemme

    « Dans l’écriture est la plénitude de la vie » Voilà il me semble que tu as tout dis dans cette phrase ! Et je te suis pleinement.
    Belle journée Joséphine.

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    1. Avatar de Joséphine Lanesem

      Merci de ton passage ici, belle journée à toi aussi, même si ce n’est pas la même 🙂

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  6. Avatar de Andrea

    C’est un peu ce que tente de dire Simone Weil (si j’ai bien compris votre propos et le sien !) – dans la première partie de sa Lettre à une élève.

    https://guillemettes.wordpress.com/2019/05/01/simone-weil/

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    1. Avatar de Joséphine Lanesem

      Oui, j’avais déjà lu cet extrait chez vous. Sa justesse, son exigence, sa précision m’avaient frappée. Comme toujours chez Simone Weil. J’ai rarement rencontré une telle clairvoyance.
      Il faut que je me procure ses œuvres complètes !

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  7. Avatar de Louise Salmone

    Exactement, merci beaucoup, très bonne journée, louise salmone

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