Un mot pour le désir

Elle t’a demandé un mot, rien qu’un mot, pour décrire le désir. Et tu as répondu : rouge. Elle t’a demandé pourquoi, et tu as répondu : rouge comme le sang, le battement, l’intérieur, les recoins et les replis, le bout de la langue et des seins, comme les paupières closes… et rouge comme l’hymen, l’hémorragie, les menstrues, la perte et l’interdit, rouge comme la honte et comme le plaisir… comme la fontaine d’une chaleur partagée, comme un feu d’autant plus matériel qu’il est spirituel… Éteignant son magnétophone, elle est partie avec ta voix et t’as laissée sans. Tu te demandes maintenant si la vérité se trouve dans les mots les plus réfléchis, pesés, tamisés, ciselés, ou dans les plus immédiats, entiers, bruts, embourbés. Les premiers ont tendance à embellir la réalité en se débarrassant de ce qui dérange et finissent par sonner creux, tandis que les seconds charrient souvent des lieux communs, des idées toutes faites et des sensations vagues. Il faut sans doute que les premiers creusent et travaillent les seconds sans les vider, pour obtenir sous leur couche obstinée le cristal. Au fond, la vérité d’une voix dépend de qui l’écoute. À une oreille juste répond une voix juste, ou qui du moins s’ajuste.


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Commentaires

19 réponses à « Un mot pour le désir »

  1. Avatar de Frog

    Ah, comme toujours, tu sais mettre le doigt sur le nœud. Les limites ici et là. Je ne dirais pas forcément que les mots ciselés embellissent, mais il est certain qu’ils oublient que la vie suinte souvent. Il faut qu’ils soient placés au bon endroit. Ou bien que les autres, les bruts, le soient. Une histoire de placement. Et puis quand j’ai lu ton avant-dernière phrase, mon premier réflexe a été de refuser l’idée qu’elle exprimait. Avant de lire ta dernière phrase, et de trouver l’idée de justesse déplacée de la voix à l’oreille, mais conservée. 🙂

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    1. Avatar de Joséphine Lanesem

      Oui, ne pas trop polisser, mais ne pas se contenter non plus d’entasser des pierres aveugles. Comme ces cristaux qui ne sont jamais aussi beaux que lorsqu’ils sont composites, rugueux et accidentés par endroits, limpides et éblouissants à d’autres.
      Pour les dernières phrases, je pensais surtout à un dialogue, un échange de vive voix. Mais c’est transposable, dans une certaine mesure, à l’écriture. Savoir que je serai lue par tel ou tel peut me permettre de poser ma voix ou au contraire me la fausser complètement.

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      1. Avatar de Frog

        Ah oui, pour le dialogue c’est encore plus vrai (si je puis dire) ! Et oui, je te suis complètement sur la façon dont l’interlocuteur nous conduit à « poser notre voix ».

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  2. Avatar de sjaussi

    Vos mots sont venus me toucher à l’endroit exact où je doute. C’est vraiment très beau, très juste. Puis vous relisant, je me disais : la question de l’écoute – si proche et entremêlée avec celle, qui m’anime énormément, de « l’adresse » – n’est-elle pas aussi celle du désir, finalement ? Comme si au-delà des mots pour le décrire, le désir pouvait prendre son élan à partir d’un manque, chez soi, chez l’autre, un creux d’où quelque chose l’appelle et lui permet de prendre forme et geste…

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    1. Avatar de Joséphine Lanesem

      Merci de votre lecture ! L’adresse est habitée de désir, je suis d’accord. Je crois que tout texte (même inconsciemment ou imaginairement) est adressé, mais, pour être juste, il doit s’écrire à l’autre et non pour l’autre – lorsque l’autre ouvre des espaces en soi, sans en quadriller aucun.
      Votre manière de décrire le manque est très belle. Il est au cœur du désir, je suis encore d’accord, mais je le vois de manière très mobile comme une plénitude alternant avec son retrait, un va-et-vient, une vague, une marée. Quel que soit le type de désir, il a ses cycles dont on ne peut décider. Un manque irréductible comme une plénitude absolue ne correspondent pas à mon expérience. Mais voilà que je vous parle de tout autre chose… 🙂

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  3. Avatar de carnetsparesseux

    Tout à l’heure je me suis dit : attends un peu avant de commenter, tout à l’heure tu y verras mieux, , tu liras plus clair, tu trouveras quels mots proposer (à voix basse : cette fois essaie d’avoir l’air malin, averti ; ne te mets pas trop en avant, mais ne te fais pas honte non plus).
    Et maintenant c’est clair en effet : encore tes mots précis, disant juste et clair (pour moi, une leçon : comment dire le doute sans hésitation) et pour l’illustrer, un de ces dialogues qui vous semble couler de sources, entre Frog et toi, et qui dit autrement comment l’écoute précède la voix, comment l’attention éveille le discours.
    (bref, je ferais mieux de me cantonner à mes histoires de renard pas même bleu).

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    1. Avatar de Frog

      Carnets, tes histoires de renard bleu ou roux sont merveilleuses. Vraiment.

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      1. Avatar de Joséphine Lanesem

        Mais… mais… mais… tu m’enlèves les mots de la bouche toi ! Ce n’est sérieux.

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    2. Avatar de Joséphine Lanesem

      Tu es un merveilleux conteur et je suis heureuse si tu te retrouves dans mes doutes, c’est que je suis sur la bonne route. J’attends donc une histoire de renard bleu qui n’a pas froid aux yeux. 🙂

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      1. Avatar de carnetsparesseux

        le moyen de dire non, après ça ? et un renard bleu, un !
        🙂

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  4. Avatar de lesnarinesdescrayons

    La conclusion me saisit par sa justesse, et le texte par sa beauté sans artifice et pourtant élégante. Une beauté que j’aime. Merci Joséphine, c’est toujours un bonheur de te lire. Tu saisis les choses d’une telle façon qu’on ne perd jamais son temps (même quand on en a si peu qu’on n’écrit plus).

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    1. Avatar de Joséphine Lanesem

      Merci Clémentine ! Pour le coup, je rougis, illustrant ma pensée. 😉

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      1. Avatar de lesnarinesdescrayons

        Le rouge est une jolie couleur quand il colore les joues émues 😉😊

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  5. Avatar de Frog

    Je crois que ton texte dit aussi pourquoi on écrit des poèmes. Pour se placer dans cet espace toujours recréé, nouveau-né, où les mots n’ont pas encore été usés, infusés d’associations vagues et faussement comprises. Ou bien où on cherche à les dépouiller de ces associations pour leur en offrir de nouvelles.

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    1. Avatar de Joséphine Lanesem

      Je ne sais pas si c’est pour ça qu’on écrit des poèmes mais c’est sûrement ainsi qu’on les écrit. 😉

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      1. Avatar de Frog

        😁 Mais si mais si, c’est pour cela que bien des choses demandent à être dites par un poème. Par snobisme. 😂

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        1. Avatar de Joséphine Lanesem

          Les choses sont superficielles, elles demandent des robes toujours nouvelles.

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          1. Avatar de Frog

            C’est précisément ca ! 😁

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