Son pays, je l’appelai le pays du bonheur. Pour le soleil qui blanchit et ossifie, et on a des regards aussi impersonnels que ses rayons, des sentiments de sel et d’épines, un calme de grand drap qui sèche entre deux maisons. Pour l’ombre qui plie, replie, réconcilie, et les discussions ont l’intimité des confidences, l’inquiétude des complots, le fond de silence des siestes sous les persiennes où tout s’immobilise et le moindre geste prend des reflets de fontaine. Pour l’âpreté craquelée des terres et la délicatesse ensorcelante des rivages, et l’on va et vient, frustré de tant de délicatesse comme de tant d’âpreté, chaque lieu semblant le seuil d’un ailleurs hors de portée, cet ailleurs qu’est la mer, palais glacé dont ce pays est la marche dure et polie. Pour la démence des églises d’or et de marbre, demeures d’un Dieu courtois et érudit, hospitalier mais despote, aimant mais jaloux, à l’écoute mais distant, où l’on croit en regardant dans le vide, où l’on prie en comptant ses figues. Pour chaque ruelle qui se détache avec la finesse et la fragilité d’un décor de théâtre, et où l’on s’imagine amoureux si on ne l’était déjà. Pour l’art perdu de ne rien faire, et d’advenir de ne rien faire, absolument rien, loin de l’oppressante nécessité de produire et se réaliser, qui transforme tout désir en devoir. Pour la langue qui fut inventée pour chanter, seulement chanter, et n’a servi que tardivement à parler – avec ma langue en demi-teinte, atone et monotone, qui va du même au même et sonne comme un automne, destinée aux chuchotements, aux murmures, à tous les mots qui meurent et aux lettres muettes, je ne peux qu’être charmée par une langue qui chante.
Mais si rien de cela n’avait été, ni le soleil, ni l’ombre, ni les églises, ni les ruelles, ni les pierres, ni les plages, ni aucun art de vivre, ni même la langue qui chante, ce serait encore le pays du bonheur – pour le ciel. Oh le ciel est beau dans ma ville bleue. Rien à redire. Surtout si on s’arrête sur un pont au couchant. Ça vous fend le cœur comme la fin d’un chagrin, quand l’amour en se détachant vous déchire délicieusement et qu’on est incroyablement vivant de n’être plus mourant. Mais là-bas, dans son pays à lui, le ciel, voyez-vous, est velouté. Son bleu caresse, doublé de violet, et la nuit son noir vibre encore de l’azur de midi. Oui, là-bas, dans son pays à lui, il suffit de lever les yeux pour être heureux.
(Reprend son souffle). Ah, la voilà, ta Méditerranée ! L’une d’elles, au moins. Je ne dis rien, mais tu m’entends.
Et maintenant, le désir de faire répondre la mienne à la tienne…
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J’ai hâte de l’entendre. Ces passage en italique sur ton blog où on l’entend bruire et luire m’enchantent déjà.
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Je voulais copier les formules que j’avais le plus aimé dans ce texte, te dire que j’avais envie de les apprendre par contre, que ton sens de la formule intime et sensible me transporte. Mais je copierais le texte entier! L’âpreté de l’Italie. Ce que tu dis des langues, des ruelles en décors de théâtre. Les yeux de l’amoureuse. L’immobilité au soleil. Des trouvailles pour dire ce qui est, vrai, simple vérifiable et que tes mots deviennent la seule manière dire.
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Joséphine devient pénible, hein, de dire si bien et si aisément. Nous, cancres, il nous ne reste plus qu’à copier cent fois et apprendre par coeur.
🙂
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Comme tu dis! On ne peut même pas dire qu’elle nous ôte les mots de la plume, parce que des mots comme ça n’arrivent qu’à elle. 🙂
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C’est tout l’inverse ! C’est à vous lire que je me sens obligée d’être à la hauteur. 🙂
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pfuuu ! tu n’as pas besoin d’échelle pour être au dessus de la hauteur: Frog et Clémentine non plus, d’ailleurs
🙂
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Alors on est tous, toi y compris, de gracieux funambules – décidément cette métaphore du cirque, je n’arrive pas à m’en défaire ! Si tu en as une autre dans ta sacoche à trouvailles…
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Plus sérieusement, le dernier épisode du Jules Grévisse est génial. Le meilleur, selon mon humble avis.
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Oh, merci Clémentine, je suis émue. Je ne pense pas que ça vaille la peine de l’apprendre par coeur, mais c’est un texte à dire, je suis d’accord, il m’est venu spontanément, presque d’une traite, coulant de source car il a l’amour pour source – et comme tu l’as bien remarqué, l’amour pour l’homme qui vient de ce pays plus que pour le pays lui-même.
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Cette homme est bien riche de tant d’amour… c’est drôle, le hasard: un ami m’a montré des photos de son voyage en Italie juste après que j’ai lu ton texte! Mais ton texte est plus vrai que les photos…
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Cet homme attend un texte qui lui soit spécifiquement dédié 😉
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Qu’il a de la chance! Mon mari attend aussi, pas un mot sur lui. C’est fou, je n’y arrive pas. Mais j’aimerais…
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C’est plus difficile d’écrire sur les plus proches, les plus présents. L’écriture naît d’une forme de manque et d’absence. Cela viendra par un détour, je pense. Comme ici.
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Je crois aussi. Ou d’une présence intense et fugace que l’on voudrait fixer. D’une absence, encore, tu as raison. J’aimerais bien, quand même, dire sa présence. Quotidienne, physique, étrangère, désassortie. Et ses bras qui réparent tout. Ses mots qui ne sont pas les miens, et les gros traits qu’il fait du monde, qui me laissent un peu en paix avec moi-même. Son chaos et son sommeil de plomb. Sa présence, envers et contre tout. Et son passé brûlé dont les chairs sont vives. Rien n’est si grave à ses côtés, parce que c’est très sérieux pour lui, de se moquer de tout. Et mon commentaire est trop long et ce n’est plus un commentaire, pardonne-moi Joséphine, mais tu entrebâilles une porte qui résistait bien fort.
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Tu la dis sa présence. Quelques mots comme un croquis puissamment évocateur. En effet ce n’est pas un commentaire, c’est le début d’un nouveau texte, que j’aimerais lire mais peut-être vaut-il mieux l’écrire comme s’il n’était que pour toi et lui…
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Peut-être si l’esquisse se précise, un prochain texte qui m’éclairera sans doute moi-même sur nos noeuds inédits et nos cordes opposées. D’abord, je suis plongée dans le bain de mes filles, quelque chose comme « Violette (ou Camille) anadyomène » pour faire bien pompeux ou pour plagier Rimbaud! Je m’en dépêtre mal pour l’instant. Nous verrons. C’est agréable d’avec des textes dans le ventre, qui germent dans leur ressac…Discuter avec toi, c’est recueillir de jolies graines, dont il faudra prendre soin 🙂
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Tu as mis « cliché » dans les tags. 😉
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Ah, j’explore des lieux communs, il faut bien l’assumer – la langue des anges, les villes d’amour, l’art de l’oisiveté… Comme tu dis, une de mes Méditerranées, mer myriade.
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Les clichés ne sont pas souvent absurdes. 🙂 Et si quelqu’un est capable de traiter un lieu commun en en rendant la matière neuve, c’est bien toi. 🙂
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Oh, Joséphine, que c’est beau !
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Merci Aldor ! Un écho à votre lecture du Petit Prince avant-hier, l’amour qui révèle la beauté du monde.
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Merci, Joséphine.
C’est vrai.
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Les images utilisées sont parfaites, elles collent si bien aux belles émotions que tu dépeins.
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Merci, c’est très gentil ! Bois-tu du thé, du café ou du chocolat dans ta jolie tasse flamant ? Un oiseau que je croisais souvent au pays du bonheur…
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En fait il y a des tas de crayons et feutres dans ma tasse, elle est toujours sur mon bureau, j’avais à coeur de la garder près de moi 🙂
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Gracieuse inspiration.
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Tout est dit dans le titre. Sensible.
On se découvre pourtant l’envie de relire l’ensemble du texte juste pour goûter de nouveau les beautés bouleversantes qui en découlent.
Superbe.
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Merci Laurence, je suis heureuse qu’il vous plaise 🙂
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