Au croisement des pensées

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Berlin © Joséphine Lanesem

Leibniz, compagnon de route de mon père, de dos, s’éloignant, sa voix me frôle en passant et manque à m’atteindre.
De l’autre côté, Goethe, de face, s’approchant, un frère avec aux yeux le même bleu jaune troué de noir, le même émerveillement où perce et se répand la mélancolie. On s’est promenés une année entière dans la grisaille argentée des paysages allemands. Il m’a mi ennuyée, mi amusée de ses théories sur la société et sur l’art, fascinée par sa fantaisie, sa folie douce et inconsciente.
Le plus grand étonnement avec les classiques, c’est qu’ils n’ont rien de classique : ils sont étranges et dérangeants, neufs et transgressifs, souvent bien plus que nos contemporains.
Les affinités électives, Les souffrances du jeune Werther, Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister.
Des romans qu’avec ma vie itinérante je n’ai pas sous la main pour vous en donner quelques bribes, mais des extraits ne transmettraient pas leur charme qui tient à leur continuité labyrinthique, leur rythme virtuose, maintenu de page à page avec de savants alentissements et d’étourdissantes précipitations, leurs personnages qu’on aime pour les avoir longtemps fréquentés, mêlés à notre sommeil, notre café, notre manière d’aimer. Pour revenir aux mots, j’y trouve la grâce d’un équilibre fragile et pourtant jamais trahi : une langue harmonieuse, maîtrisée, mesurée, fluide et ciselée pour dire le naufrage et l’insensé.


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Commentaires

13 réponses à « Au croisement des pensées »

  1. Avatar de Frog

    C’est beau. Tu parles bien du compagnonnage avec les personnages !

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    1. Avatar de Joséphine Lanesem

      Merci 🙂 Malheureusement j’ai le défaut de ne jamais me souvenir des noms, dans la vie comme dans les romans, ce sont les seuls mots qui m’échappent complètement, plus étrangers qu’une langue étrangère, inassimilables. J’ai beaucoup de mal à attacher un mot à une personne (ou à un personnage) et j’étais d’ailleurs très entêtée petite à ne pas nommer mes peluches et mes poupées, à ne pas leur imposer ça, j’avais l’impression que c’était comme leur barrer la personnalité, leur gribouiller le visage. Bref, je te raconte ça car c’est dans la suite de notre réflexion sur les mots et le monde 😉

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      1. Avatar de Frog

        C’est passionnant, car pour les noms je suis dans l’excès inverse ! J’ai des noms propres qui me tournent dans la tête, comme s’ils demandaient à être incarnés, et cela depuis toujours. Ce ne sont même pas des noms que j’aime ou qui appartiennent à des gens que j’aime. Je suppose que c’est leur sonorité qui « m’entête » : Anaël, Luce, des noms comme ça. Quand je traite un personnage, il me fait un nom et, souvent, un visage. Mais je perçois comme toi que donner un nom à une poupée ou une peluche, c’est un peu leur faire violence, limiter leurs possibles.

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        1. Avatar de Joséphine Lanesem

          En même temps et sans contradiction, je te dirai que mes personnages naissent de leur nom, entièrement, de la pointe des souliers à l’épi sur le front, il est leur chair, leur unique chair et c’est dans l’inclinaison d’un accent ou la douceur d’un a ouvert que se forme leur caractère.

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          1. Avatar de Frog

            Oui, j’avais bien reconnu cela dans tes nouvelles ! Et ce personnage de Cécile Camille, son ambiguïté…

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            1. Avatar de Joséphine Lanesem

              à laquelle il est aveugle – Cécile revoit à cécité. 😉
              Je ne suis habitée​ comme toi que par un nom, Antoine, mais qui ne me parle pas, ne m’inspire pas. J’en ai fait un Antonin, mais il ne part pas pour autant. Et ça résonne dans ma tête comme un prénom de femme. Peut-être car mon deuxième prénom est Antoinette….
              Les noms que tu cites sont porteurs de lumière.

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            2. Avatar de Frog

              Dans mon nouveau projet, j’ai un personnage qui s’appelle Cecil. 🙂 J’aime bien ce nom, Antoine, porté par une personne réelle, mais il ne m’inspire pas non plus. Antoinette, je trouve que ça te va bien !

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    2. Avatar de Joséphine Lanesem

      D’ailleurs je donne souvent des noms communs à mes personnages pour parer ça.

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  2. Avatar de lesnarinesdescrayons

    Ce qui est beau pour moi dans Cécile/ Cécil, c’est qu’on entend l’aveuglement et les cils qui battent, dans un doux frôlement chanté par les deux C. J’aime vous lire/entendre parler de votre rapport à vos personnages. Comme vous, je suis très sensible aux noms des personnages, qui sont évidemment le seul corps qu’on leur connaisse, leur matérialité. Pour ma part le roman est un terrain trop ardu. La forme longue est un doux rêve mais je m’y sens très gauche, empesée, empâtée. Impossible d’aller au delà de quelques pages, sans m’enliser. Et je finis par détester me relire et par rester coincée dans le sable. Bref, je vous admire vraiment… mais je ne désespère pas d’y arriver un jour. Joséphine, nous avons en partage cette impression que les classiques sont bien plus neufs et toujours plus surprenants que beaucoup d’œuvres actuelles, que la postérité n’a pas eu le temps de trier. Cependant il y a deux écrivains dont les œuvres sont déjà, à mon coeur, des classiques, bien qu’ils vivent encore: Andreï Makine et Laurent Gaudé!

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    1. Avatar de Joséphine Lanesem

      Merci de tes conseils, c’est ce qu’il manque pour la littérature contemporaine, des voix pour nous guider dans la forêt sans cesse florissante des ouvrages. Mon amour de nos jours va à Christian Bobin, flèche droite vers ce coeur de lumière. Mais d’autres me plaisent, Marie Depussé dans Dieu gît dans les détails par exemple, je devrais faire plus de critique sur des contemporains, c’est là qu’on en a le plus besoin !
      Pour le roman, ce n’est pas non plus mon format, mais je ne m’en formalise pas. Je crois qu’il ne correspond absolument pas à ma manière de penser et sentir. J’adore en lire mais en écrire m’épuiserait pour un résultat, je pense, médiocre.
      Bien vu pour Cécile et les cils 😉

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      1. Avatar de lesnarinesdescrayons

        Nous devrions parler des grands beaux livres contemporains, je suis d’accord…Christian Bobin ne m’est connu que par son nom, quelques extraits. Je m’y pencherai, mais apres Bauchau, et apès ton livre! Je ne prends pas le temps de lire en ce moment, pourtant c’est vital, et je me sens un peu maigre à l’intérieur…. drôle d’impression…

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        1. Avatar de Joséphine Lanesem

          Je suis flattée, ou plutôt honorée d’être si bien entourée 🙂
          Je dépéris aussi lorsque je ne lis plus… Maigre à l’intérieur comme tu dis. Sans épaisseur ni ampleur, privée d’air, d’eau, de lumière. Sèche et rêche. Je n’identifie pas toujours que le mal vient de là et lorsque je reprends la lecture par hasard, je m’écrie « mais pourquoi ne m’y suis-je pas remise plus tôt ! » 😉

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          1. Avatar de lesnarinesdescrayons

            Tu as raison: Je recommence, question de survie!

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